En\u00a02019, une personne assist\u00e9e sociale vivant seule re\u00e7oit 644\u00a0$\u00a0par mois comme prestation de base. En se r\u00e9f\u00e9rant \u00e0 la mesure du panier de consommation (MPC), un indicateur qui rend compte de la pauvret\u00e9 sous l\u2019angle de la couverture des besoins de base (v\u00eatements, nourriture, logement et transport), on s\u2019aper\u00e7oit que cette prestation ne permet de couvrir que 42\u00a0% de ces besoins. Si on ajoute \u00e0 cela les diff\u00e9rentes mesures fiscales (cr\u00e9dit d\u2019imp\u00f4t pour solidarit\u00e9 et cr\u00e9dit pour la TPS), le revenu disponible d\u2019une personne assist\u00e9e sociale s\u2019\u00e9l\u00e8ve \u00e0 776\u00a0$ par mois, ce qui correspond \u00e0 la couverture de 51\u00a0% des besoins de base.<\/p>\n
La nette insuffisance des prestations pour assurer la couverture des besoins de base vient contredire le principe m\u00eame du programme d\u2019aide sociale, qui est d\u2019accorder \u00e0 la personne sans revenus une aide financi\u00e8re lui permettant d\u2019assurer sa subsistance.<\/p>\n
Un texte d’Olivier Ducharme, chercheur au Collectif pour un Qu\u00e9bec sans pauvret\u00e9. (Pour une version PDF, c’est ici<\/a>.)<\/strong><\/em><\/p>\n Le 2\u00a0d\u00e9cembre\u00a01969, le gouvernement qu\u00e9b\u00e9cois adopte la Loi de l\u2019aide sociale<\/em>. Le c\u0153ur de cette loi est l\u2019introduction d\u2019un droit universel \u00e0 l\u2019assistance sociale. Selon l\u2019article\u00a03 de la Loi, ce droit est accord\u00e9 \u00ab\u00a0sur la base du d\u00e9ficit qui existe entre les besoins d\u2019une famille ou d\u2019une personne seule et les revenus dont elle dispose\u00a0\u00bb. Jamais remis en cause, ce droit est le socle sur lequel repose encore aujourd\u2019hui le syst\u00e8me d\u2019aide sociale.<\/p>\n Le but de l\u2019aide sociale, comme stipul\u00e9 \u00e0 l\u2019article\u00a06\u00a0de la Loi, est de combler \u00ab\u00a0les besoins ordinaires et sp\u00e9ciaux d\u2019une famille ou d\u2019une personne seule qui est priv\u00e9e de moyens de subsistance\u00a0\u00bb. Pour que ce but ne se transforme pas en v\u0153u pieux, le gouvernement doit s\u2019assurer d\u2019octroyer une aide financi\u00e8re \u00e0 la hauteur des besoins des prestataires.<\/p>\n Au cours de l\u2019\u00e9tude du projet de loi \u00e0 l\u2019automne\u00a01969, les partis d\u2019opposition et les groupes invit\u00e9s en commission parlementaire pressent le ministre de la Famille et du Bien-\u00eatre social d\u2019alors, Jean-Paul Cloutier, de d\u00e9voiler le montant des prestations envisag\u00e9 par le gouvernement. Le 20\u00a0novembre\u00a01969, Cloutier d\u00e9pose un document o\u00f9 appara\u00eet finalement le \u00ab\u00a0niveau projet\u00e9\u00a0\u00bb des prestations. Les montants pr\u00e9vus sont de 80\u00a0$\u00a0(environ 549\u00a0$\u00a0en dollars constants de 2019) pour une personne seule et de 214,42\u00a0$\u00a0(environ 1\u2009474\u00a0$\u00a0en dollars constants de 2019) pour une famille de deux adultes et deux\u00a0enfants.<\/p>\n Le ministre reconna\u00eet alors que ces montants sont inf\u00e9rieurs \u00e0 ceux d\u2019autres provinces canadiennes et \u00e0 ceux propos\u00e9s par le Dispensaire di\u00e9t\u00e9tique de Montr\u00e9al, qui repr\u00e9sentait pourtant la r\u00e9f\u00e9rence en mati\u00e8re de \u00ab\u00a0budget de subsistance\u00a0\u00bb. Le ministre cherche ainsi \u00e0 s\u2019assurer que le niveau des allocations \u00ab\u00a0n\u2019incitera pas ceux qui ont actuellement des emplois \u00e0 venir grossir le rang des assist\u00e9s sociaux et d\u00e9laisser leur emploi[1]<\/a>\u00a0\u00bb.<\/p>\n Le bar\u00e8me officiel des prestations d\u2019aide sociale, publi\u00e9 le 7\u00a0novembre\u00a01970 dans la Gazette officielle, <\/em>confirme les projections du gouvernement. Une personne seule pourra recevoir entre 91\u00a0$\u00a0et 106\u00a0$ par mois (selon le lieu de r\u00e9sidence) et une famille de deux\u00a0adultes et deux enfants entre 198\u00a0$\u00a0et 213\u00a0$. Quant aux personnes seules de moins de 30\u00a0ans et \u00e0 celles vivant en chambre ou pension, leur allocation sera au maximum de 75\u00a0$\u00a0par mois[2]<\/a>.<\/p>\n Le gouvernement de l\u2019Union nationale admet que les prestations d\u2019aide sociale sont insuffisantes pour assurer la subsistance. C\u2019est pourquoi il permet aux personnes assist\u00e9es sociales de se tourner vers le march\u00e9 du travail, pour combler le manque \u00e0 gagner. Les gains de travail permis sont, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, de 25\u00a0$ par mois pour une personne seule et de 40\u00a0$\u00a0pour une famille. Des gains plus \u00e9lev\u00e9s entra\u00eenent une diminution de la prestation. \u00ab\u00a0Il ne faut pas enlever\u00a0[\u2026] l\u2019incitation au travail et \u00e0 gagner un certain revenu, dit le ministre Cloutier. [\u2026] C\u2019est pour cela qu\u2019il y a une marge entre l\u2019allocation effectivement vers\u00e9e[3]<\/a>\u00a0\u00bb et le niveau de subsistance.<\/p>\n Les autorit\u00e9s gouvernementales cherchent ainsi \u00e0 pr\u00e9venir la \u00ab\u00a0d\u00e9pendance sociale\u00a0\u00bb des personnes qui re\u00e7oivent de l\u2019aide financi\u00e8re de l\u2019\u00c9tat. En octobre\u00a01970, Claude Castonguay, nouvellement \u00e9lu et ministre des Affaires sociales, affirme\u00a0: \u00ab\u00a0Pour une fraction importante de l\u2019opinion publique, la d\u00e9pendance sociale s\u2019explique par les attitudes de certains r\u00e9cipiendaires d\u2019allocations sociales qui pr\u00e9f\u00e8rent les allocations au travail, refusant m\u00eame de travailler, se satisfaisant de leur situation m\u00e9diocre[4]<\/a>\u00a0\u00bb.<\/p>\n Pour \u00e9viter la d\u00e9pendance sociale, les personnes assist\u00e9es sociales doivent demeurer \u00ab\u00a0actives\u00a0\u00bb. Pour conjurer les \u00ab\u00a0attitudes de passivit\u00e9 et d\u2019apathie\u00a0\u00bb (dixit Castonguay), le gouvernement met en place des mesures de r\u00e9insertion \u00e0 l\u2019emploi au moyen, entre autres, du programme de \u00ab\u00a0Retour \u00e0 la vie normale\u00a0\u00bb dont le but est de \u00ab\u00a0trouver des emplois \u00e0 pr\u00e8s de 50\u00a0000\u00a0assist\u00e9s sociaux qui sont aptes au travail[5]<\/a>\u00a0\u00bb.<\/p>\n Le gouvernement qui a instaur\u00e9 l\u2019aide sociale est aussi celui qui a \u00e9tabli la marche \u00e0 suivre pour mener \u00e0 bien sa \u00ab\u00a0gestion\u00a0\u00bb. Les diff\u00e9rentes r\u00e9formes qui ponctuent l\u2019histoire de l\u2019aide sociale qu\u00e9b\u00e9coise n\u2019auront qu\u2019accentu\u00e9 la logique mise en place d\u00e8s les premi\u00e8res ann\u00e9es du programme.<\/p>\n Jeter un coup d\u2019\u0153il \u00e0 l\u2019\u00e9volution de la prestation de base (voir graphique) permet de constater qu\u2019\u00e0 aucun moment depuis l\u2019instauration de l\u2019aide sociale, les prestataires n\u2019ont pu satisfaire leurs besoins de base. Selon la MPC, estim\u00e9e \u00e0 18\u00a0335\u00a0$ pour l\u2019ann\u00e9e\u00a02018[6]<\/a>, il faut environ 1\u2009530\u00a0$\u00a0par mois pour couvrir les besoins de base d\u2019une personne au Qu\u00e9bec. L\u2019aide sociale a toujours \u00e9t\u00e9, et de loin, inf\u00e9rieure \u00e0 ce montant (mutatis mutandis<\/em>).<\/p>\n Le graphique montre qu\u2019apr\u00e8s avoir plafonn\u00e9 entre 1974 et 1988, la prestation de base n\u2019a cess\u00e9 de diminuer depuis. Des r\u00e9formes adopt\u00e9es en 1988 (Loi sur la s\u00e9curit\u00e9 du revenu<\/em>) et 1998 (Loi sur le soutien du revenu et favorisant l\u2019emploi et la solidarit\u00e9 sociale<\/em>), orient\u00e9es vers le retour \u00e0 l\u2019emploi, de m\u00eame que les cinq ann\u00e9es cons\u00e9cutives de non-augmentation et de non-indexation (de 1994 \u00e0 1998) sont responsables de la perte de valeur du ch\u00e8que d\u2019aide sociale.<\/p>\n Qu\u2019est-ce qui explique que la prestation de base actuelle est l\u2019une des plus basses jamais accord\u00e9e? Une partie de la r\u00e9ponse provient du fait que l\u2019\u00c9tat attribue davantage son aide financi\u00e8re \u00e0 partir de mesures fiscales (cr\u00e9dits d\u2019imp\u00f4t remboursables ou non remboursables) qui n\u2019apparaissent pas sur le ch\u00e8que d\u2019aide sociale. Une personne assist\u00e9e sociale vivant seule retire ainsi, au total, environ 776\u00a0$\u00a0par mois, un suppl\u00e9ment de revenu de 132\u00a0$ par rapport \u00e0 sa seule prestation. Toutefois, on le constate, m\u00eame avec les mesures fiscales, le montant total actuel de l\u2019aide sociale repr\u00e9sente une baisse notable par rapport aux prestations accord\u00e9es dans les ann\u00e9es\u00a01970 et 1980.<\/p>\n De maigres prestations minent le droit \u00e0 l\u2019aide sociale. Le gouvernement qu\u00e9b\u00e9cois n\u2019a jamais v\u00e9ritablement cherch\u00e9 \u00e0 combler \u00ab\u00a0les besoins ordinaires et sp\u00e9ciaux d\u2019une famille ou d\u2019une personne seule qui est priv\u00e9e des moyens de subsistance\u00a0\u00bb, bien que ce soit l\u00e0 le but de l\u2019aide sociale. Souhaitons que dans un avenir rapproch\u00e9 le gouvernement sache suppl\u00e9er \u00e0 cette importante lacune et accorde, pour une premi\u00e8re fois, des prestations \u00e0 la hauteur des besoins des personnes en situation de pauvret\u00e9.<\/p>\n [1]<\/a>Journal des d\u00e9bats de la Commission permanente de la Famille et du Bien-\u00eatre social, <\/em>11\u00a0septembre\u00a01969.<\/p>\n [2]<\/a> Gazette officielle du Qu\u00e9bec, <\/em>102e<\/sup> ann\u00e9e, vol.\u00a0102, n\u00b045, 7 novembre\u00a01970.<\/p>\n [3]<\/a> Journal des d\u00e9bats de la Commission permanente de la Famille et du Bien-\u00eatre social, <\/em>20\u00a0novembre\u00a01969.<\/p>\n [4]<\/a> Bulletin\u00a0: retour \u00e0 la vie normale, <\/em>Qu\u00e9bec, minist\u00e8re de la Famille et du Bien-\u00eatre social, vol.\u00a02, n\u00b04, d\u00e9cembre\u00a01970, p.\u00a08.<\/p>\nLe d\u00e9faut initial <\/strong><\/h2>\n
Pr\u00e9venir la d\u00e9pendance sociale<\/strong><\/h2>\n
Le reste de l\u2019histoire<\/strong><\/h2>\n
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