Le Québec a besoin d’un vrai plan de lutte contre la pauvreté
L’enjeu de la hausse du coût de la vie a été le sujet chaud de la rentrée parlementaire à Québec. L’itinérance est en forte augmentation et plusieurs banques alimentaires ne sont juste plus capables de répondre à la demande croissante. En pleine crise du logement, les personnes en situation de pauvreté sont particulièrement prises à la gorge et, plus que jamais, doivent couper dans l’essentiel.
Des mesures à la pièce et mal ciblées
Pour répondre aux critiques, le premier ministre s’est fait un plaisir de rappeler les mesures qu’il a prises pour « remettre de l’argent dans les poches des Québécois », mais sans préciser dans quelles poches il en avait remis le plus.
Si nous pensons à la baisse d’impôt confirmée dans le dernier budget, n’oublions pas qu’il en remettra davantage (814 $ par année) dans celles des personnes gagnant plus de 98 540 $ que dans celles des personnes les plus pauvres (par exemple, 28 $ pour la personne gagnant 20 000 $). Pour ce qui est des chèques visant à aider les gens à faire face à la hausse du coût de la vie, souvenons-nous que la personne essayant de survivre avec 15 000 $ par année a pratiquement reçu le même montant que la personne gagnant 100 000 $. Comme si les deux avaient la même difficulté à faire face à la flambée des prix.
En vue de la prochaine mise à jour économique, le premier ministre a ouvert la porte à de nouvelles aides spéciales, pour des groupes « plus vulnérables ». Malheureusement, même si cette aide devait être mieux ciblée, tout porte à croire qu’elle serait encore une fois ponctuelle et ne contribuerait en rien à la lutte contre la pauvreté.
Pour un vrai plan de lutte contre la pauvreté
Si le gouvernement veut faire reculer durablement la pauvreté, il doit prévoir des mesures structurantes et non de simples aides ponctuelles qui semblent aller et venir au gré de ses humeurs.
En fait, le Québec a besoin d’un plan de lutte contre la pauvreté. Justement, la ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, Chantal Rouleau, est censée déposer le 4e plan d’action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté l’hiver prochain.
Voilà une belle occasion pour le gouvernement de démontrer qu’il n’est pas déconnecté des personnes en situation de pauvreté. Comme c’est tout le monde, au Québec, qui est censé avoir droit à un niveau de vie décent, il devra se montrer ambitieux et ne viser rien de moins que la sortie de la pauvreté pour l’ensemble de la population québécoise. Ne pas le faire correspondrait à nier les droits de certaines personnes.
Différents moyens sont à la portée du gouvernement. Le printemps dernier, nous en avons proposé plusieurs à la ministre Rouleau dans le cadre de la consultation gouvernementale. En voici trois qui, selon nous, devraient se retrouver au cœur d’un plan de lutte contre la pauvreté digne de ce nom.
Un revenu suffisant pour couvrir ses besoins de base
Avant toute chose, le gouvernement devrait rehausser les protections publiques pour assurer à tout le monde un revenu au moins égal à la Mesure du panier de consommation (MPC). Cela représente un minimum à atteindre de toute urgence; un premier pas vers la sortie de la pauvreté. (N’oublions pas qu’il ne suffit pas de couvrir ses besoins de base pour ne plus vivre dans la pauvreté!)
Pour arriver à couvrir ses besoins de base tels que définis par la MPC, une personne seule avait besoin de 23 025 $ en 2022. Au Québec, près d’une personne sur dix dispose d’un revenu inférieur à ce montant. Ces centaines de milliers de personnes n’arrivent pas à manger ou à se loger convenablement et leur santé physique et mentale s’en trouve menacée.
Par exemple, on parle ici d’étudiant∙es, de personnes travaillant à temps partiel, et les quelque 157 000 personnes au programme d’Aide sociale en font assurément partie. Celles-ci comptent, en 2023, sur un revenu disponible annuel de 11 480 $, de quoi couvrir à peine 50 % de leurs besoins de base. Le mois dernier, La Presse nous rappelait que, « entre 2014 et 2022, les loyers pour un studio et pour un appartement d’une chambre à Montréal ont explosé respectivement de 38 % et de 39 % » alors que le montant du chèque d’aide sociale n’a augmenté que de 19 % sur la même période.
Ne serait-il pas temps que l’aide financière de dernier recours permette aux gens d’améliorer leur sort au lieu de les enfoncer dans la misère? Un projet de loi visant la « modernisation » de l’assistance sociale est d’ailleurs attendu cet automne et disons que les attentes sont élevées!
Concrètement, l’amélioration du revenu pourrait aussi passer par une augmentation du crédit d’impôt pour solidarité. Toute mesure comme la bonification du Crédit d’impôt pour soutien aux aîné∙es mérite aussi d’être considérée. Il est déplorable que les aîné∙es de 65 à 69 ans n’y aient pas accès, mais il reste que c’est probablement la seule mesure du gouvernement actuel qui aura un impact à long terme sur les personnes en situation de pauvreté.
Des services publics de qualité et accessibles
En plus du soutien au revenu, on sait que l’accès à des services publics gratuits et de qualité peut faire toute la différence pour les personnes en situation de pauvreté. Malheureusement, ils ont été mis à mal par des années de coupes budgétaires et, dans son dernier rapport annuel, le Protecteur du citoyen dénonçait encore une fois de multiples problèmes d’accès, particulièrement pour les personnes « les plus vulnérables ». Par ailleurs, le gouvernement semble décidé à les ouvrir davantage au secteur privé, ce qui laisse craindre leur affaiblissement et semble contradictoire avec une revendication qui nous est chère, soit l’amélioration continue de l’accès, sans discrimination, à des services publics universels et de qualité.
En vue du prochain plan de lutte contre la pauvreté, les pistes d’intervention sont nombreuses. Pensons par exemple à l’inclusion des soins dentaires et de la vue dans les soins couverts par la RAMQ, au développement de places en CPE, au financement des services de transport collectif, etc. Dans le contexte actuel, il va sans dire qu’une attention particulière devrait être apportée à la construction de logements sociaux.
Une meilleure redistribution de la richesse
Une autre cible que devrait viser le gouvernement, c’est la réduction des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres. Il a la responsabilité d’assurer la redistribution de la richesse et de s’assurer que les plus riches paient leur juste part afin de financer, notamment, les services publics et les programmes sociaux. Mais dans son dernier budget, il est allé exactement dans la direction inverse avec sa baisse d’impôt qui aura pour effet de priver l’État d’un total de 9,2 milliards $ pour les cinq prochaines années.
De l’argent que le gouvernement, faut-il le rappeler, a choisi de retourner surtout dans les poches des plus riches alors qu’il aurait été bien utile, justement, pour financer non seulement des mesures, mais un plan structuré de lutte contre la pauvreté.
Il serait surprenant que le gouvernement renonce à cette baisse d’impôt (même si nous l’y invitons chaudement). Au minimum, nous nous attendons à ce qu’il fasse preuve d’audace quand viendra le temps de financer le prochain plan de lutte contre la pauvreté. S’il estime avoir les moyens de se priver de 9,2 milliards $ d’impôt, de donner des milliards $ à des multinationales étrangères ou de ramener à la vie un projet bancal comme le troisième lien, il saura sûrement trouver les fonds pour permettre à l’ensemble de la population du Québec de se loger et de manger convenablement.
Se donner les moyens d’éliminer la pauvreté
Quoi qu’en dise le premier ministre, son gouvernement n’a jamais fait grand cas du sort des personnes en situation de pauvreté. Nous nous souvenons notamment de son refus obstiné, au plus fort de la pandémie, d’accorder toute aide financière supplémentaire aux personnes les plus mal prises, qui n’avaient pas accès aux différentes aides d’urgence gouvernementales. Mais la réalité semble le rattraper, et il ne pourra laisser la situation se détériorer indéfiniment, qu’il soit question de logement, d’itinérance, de hausse du coût de la vie, d’accès aux services publics, etc.
Le gouvernement ne peut plus se contenter de saupoudrer quelques mesures à la pièce pour colmater temporairement les brèches les plus béantes. Pour permettre à tout le monde de vivre dans la dignité, il doit doter le Québec d’un plan de lutte contre la pauvreté qui soit cohérent et ambitieux, qui ne laisse personne derrière!
– Une lettre de Virginie Larivière et Serge Petitclerc, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté
Une version abrégée de cette lettre a été publiée par La Presse le 17 octobre 2023.