Hausse de 40 cents du salaire minimum: Trop peu, trop tard
Le gouvernement a annoncé en décembre dernier que le salaire minimum augmentera de 0,40 $ le 1er mai prochain, ce qui le portera à 13,50 $ l’heure. Dans le cadre des consultations suivant cette annonce, la campagne 5-10-15 dépose un avis démontrant, arguments économiques et sociaux à l’appui, l’insuffisance de cette hausse et la capacité du Québec de se doter d’un salaire minimum à 15 $ l’heure dès le 1er mai prochain.
Encore cette année, le gouvernement dit baser sa décision sur le ratio prétendument scientifique de 50 % à ne pas dépasser entre le salaire minimum et le salaire horaire moyen. « Or, avance Virginie Larivière, co-porte-parole de la campagne 5-10-15, les assises scientifiques de ce ratio sont bancales. Jusqu’en 2016, ses partisans ont avancé que le ratio ne devait pas dépasser 47 %. Depuis, comme les catastrophes annoncées ne se sont pas produites, le gouvernement l’a augmenté, jusqu’à 50 %. De plus, des enquêtes statistiques fort différentes – toutes officielles – peuvent être utilisées pour établir le salaire horaire moyen. Sachant cela, pourquoi le gouvernement du Québec opte-t-il pour l’enquête qui propose le résultat le plus bas? Enfin, soulignons que les principales provinces canadiennes ont allègrement dépassé le ratio de 50 % sans que des catastrophes sur le plan de l’emploi se produisent! »
D’autres prétendent qu’une hausse rapide du salaire minimum fera gonfler l’inflation, amenuisant ainsi le pouvoir d’achat des personnes mêmes qu’on souhaite aider. « Encore un faux-fuyant, déclare Mélanie Gauvin, également co-porte-parole de la campagne 5-10-15, car des études récentes établissent un lien très faible entre l’augmentation du salaire minimum et l’inflation. Par exemple, une étude commandée par le Conseil du patronat en 2016 a démontré qu’une hausse de 40 % du salaire minimum n’entraînerait qu’une petite accélération de l’inflation de 1 à 2 %. Les personnes travaillant au salaire minimum y gagneraient donc clairement au change. »
Il s’en trouve aussi pour prétendre qu’augmenter le salaire minimum n’est pas la bonne façon de réduire la pauvreté et qu’il faudrait plutôt utiliser la fiscalité pour permettre aux bas salariés de conserver davantage leurs gains. « Ce discours est tenu par des associations patronales, celles-là mêmes qui ont comme fonds de commerce de dénoncer partout et en tout temps les impôts et les taxes, rappelle Virginie Larivière. Et aujourd’hui, il faudrait les croire sincères lorsqu’elles disent que ces mêmes impôts – qu’elles veulent à tout prix réduire – devraient servir à réduire la pauvreté. Elles cherchent plutôt à faire porter sur l’ensemble de la collectivité le fardeau de leurs responsabilités! »
De plus, les hausses substantielles du salaire minimum ont contribué à réduire les inégalités salariales entre 2014 et 2018. C’est la conclusion à laquelle arrive le Directeur parlementaire du budget. Non seulement, comme il fallait s’y attendre, ces hausses ont contribué à améliorer le sort des gagne-petit, mais elles ont aussi permis de réduire les écarts avec les moyens salariés et même avec les hauts salariés.
Mélanie Gauvin rappelle : « en ne haussant pas substantiellement le salaire minimum, le gouvernement prive l’État de revenus qui pourraient en découler, tout en l’obligeant à maintenir des transferts élevés vers les personnes qui, autrement, arriveraient encore moins à joindre les deux bouts. Et il ne s’agit pas de montants marginaux : pour la seule année 2017, le gouvernement du Québec aurait augmenté sa marge de manœuvre budgétaire de plus de 980 millions $ s’il avait porté le salaire minimum à 15 $ l’heure. »
Tirer des leçons de la crise sanitaire
En terminant, il serait dommage de ne pas tirer des leçons de la crise sanitaire. La pandémie a fait réaliser à bien du monde que les travailleurs et surtout les travailleuses « essentielles » ne travaillent pas toutes dans le réseau de la santé ou celui de l’éducation; elles se retrouvent aussi dans les commerces d’alimentation, les pharmacies, les restaurants, les groupes communautaires, et elles gagnent pour la plupart des « pinottes ».
« La pandémie de COVID-19 a rapidement provoqué un changement de discours et suscité une reconnaissance inhabituelle pour les personnes travaillant au bas de l’échelle. Au printemps dernier, des commerces considérés essentiels ont même offert, sur la base d’initiatives privées, des primes salariales à leurs employé.es », rappelle Virginie Larivière.
La plupart de ces primes ont cessé d’être versées au début de l’été 2020, alors que les effets de la pandémie s’estompaient et, hormis quelques exceptions, elles n’ont pas été renouvelées à l’automne, alors que la deuxième vague de COVID-19 frappait pourtant le Québec de plein fouet. Il est à noter que ces primes, qui dans plusieurs cas portaient le salaire horaire offert au-delà du 15 $ l’heure, n’auront pas empêché les grandes chaînes de l’alimentation d’enregistrer des profits records en pleine pandémie.
« La campagne 5-10-15 est d’avis qu’un emploi à temps plein devrait permettre à une personne de sortir de la pauvreté, pandémie ou pas, conclut Virginie Larivière. Les primes salariales, pour généreuses qu’elles puissent être, par leur caractère arbitraire et temporaire, ne peuvent suppléer au rôle de l’État pour déterminer le salaire minimum. Et ce dernier doit assurer la sortie de la pauvreté! »
Les sept organisations membres de la campagne 5-10-15 sont : le Front de défense des non-syndiquéEs, le Collectif pour un Québec sans pauvreté, la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) et le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ).