Québec, le lundi 7 juillet 2003 - Suite à l'annonce la semaine dernière par Claude Béchard, ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille, du retour à une application accrue des pénalités à l'aide sociale, le Collectif pour un Québec sans pauvreté et ses membres enjoignent le Premier ministre Jean Charest de confirmer et d'appliquer la motion d'amendement présentée et votée par son propre parti le 11 décembre dernier à l'Assemblée nationale, à la veille de l'adoption de la loi 112 sur la pauvreté.
Cette motion visait à préciser que la prestation minimale d'aide sociale ne pouvant être réduite par des sanctions, un principe déjà inscrit dans le projet de loi, ne pourrait être inférieure au montant actuel des prestations d'aide sociale. L'ensemble des 39 députés libéraux présents, alors à l'opposition, incluant Claude Béchard, avaient voté, contre le parti au pouvoir, en faveur de la motion.
Un geste incompatible avec la loi 112
"La vraie nouvelle dans le soi-disant changement de philosophie à l'aide sociale annoncé par le ministre Béchard la semaine dernière n'est pas, comme celui-ci l'a affirmé, l'amélioration de l'offre d'accès à l'emploi et à la formation, a expliqué Vivian Labrie, porte-parole du Collectif, une amélioration que nous demandons nous-mêmes et que nous aurions applaudie. Là-dessus, le ministre trompe la population puisqu'il dispose en fait de 27 M$ de moins en aide à l'emploi en 2003-2004 pour continuer de faire ce que le ministère et les organismes de développement de la main d'œuvre font déjà. "
"La vraie nouvelle, c'est qu'en intensifiant l'application des pénalités existantes, il trahit non seulement la loi 112 et le cheminement citoyen, parlementaire et gouvernemental qui a conduit à cette loi, mais aussi le travail antérieur de ses propres collègues. C'est une décision injuste, immorale et coûteuse pour la légitimité du gouvernement : le ministre va transformer la lutte contre la pauvreté en lutte contre les pauvres, un retour à la case départ des préjugés dont la loi 112 commençait à se démarquer."
Le Collectif souligne qu'alors même que le gouvernement est déjà dans l'illégalité en n'étant pas en mesure de livrer le plan d'action prévu et dû par la loi 112 depuis le 5 mai 2003, le premier geste du ministre consiste à renforcer des dispositions de la loi actuelle sur l'assistance-emploi que la loi 112 devait venir modifier.
"Si nouvelle philosophie il y a, poursuit la porte-parole, c'est une philosophie radicalement incompatible avec celle qui sous-tend la loi 112. C'est pourquoi nous faisons appel au premier ministre Charest pour qu'il tranche entre l'erreur, le mensonge ou le cynisme et que la population sache à quoi s'en tenir."
Un des tournants majeurs pris par la loi 112 consiste en effet à reconnaître par son article 15.2° que l'application de pénalités à l'aide sociale est improductive et qu'une lutte efficace contre la pauvreté suppose de donner des garanties précises au niveau du soutien du revenu. La motion visant à protéger le niveau actuel des prestations d'aide sociale présentée en décembre dernier par Christos Sirros, le député libéral de Laurier-Dorion, s'appuyait sur le fait qu'à 523 $ par mois, la prestation d'aide sociale actuelle est déjà fixée à plusieurs centaines de dollars sous le seuil de la couverture des besoins essentiels reconnu par le ministère responsable. Le député avait fait valoir à plusieurs reprises que cette prestation comporte déjà une pénalité appliquée à l'ensemble des prestataires aptes au travail; toute coupure à ce montant est un geste cruel qui accule la personne et ses dépendants à une situation de misère accrue dont ils pourront plus difficilement encore se sortir et dont les coûts pour la société et les finances publiques seront plus grands que les quelques économies réalisées.
Le Collectif et ses membres vont encore plus loin et soutiennent que sous le seuil de la couverture des besoins essentiels, un objectif à viser pour les prestations d'aide sociale, la réciprocité souhaitée par le ministre quant à la contribution des personnes est déjà toute contenue dans l'énergie que celles-ci doivent consacrer à leur survie et à celle des leurs. Il n'y a rien à gagner pour quiconque à investir dans des contrôles supplémentaires les ressources publiques qui devraient aller au support de personnes qui sont déjà les premières à agir pour s'en sortir, comme le reconnaît d'ailleurs la loi 112 dans son préambule.
Des conséquences multiples pour les personnes et la société
Lors d'une conférence de presse tenue aujourd'hui, des groupes membres du Collectif ont exposé les impacts négatifs multiples de l'annonce inconsidérée du ministre.
Jean-Yves Desgagnés, du Front commun des personnes assistées sociales du Québec, et Monique Toutant, une personne en situation de pauvreté, ont présenté des situations concrètes où l'approche du ministre conduira les personnes et leur famille dans des impasses insurmontables.
"La preuve est faite, a rappelé Jean-Yves Desgagnés, qu'une approche volontaire, où on garantit à la fois l'aide financière et l'aide à l'emploi, est celle qui produit les meilleurs résultats parce qu'elle permet aux personnes de risquer des succès sans crainte d'être pénalisées pour un mauvais choix. Elle permet aussi une relation de confiance qui est impossible quand une personne doit faire face à un agent qui a littéralement le pouvoir de l'affamer. Ensuite où sont les crédits pour l'allocation supplémentaire de 30$ par semaine qui devrait, selon les règles actuelles, améliorer la prestation des personnes qui s'engageront dans des mesures de formation et d'insertion ?"
"Le ministre a-t-il pensé, a ajouté Monique Toutant, qu'en coupant de 75$ ou 150$ une personne qui refuse ou abandonne une mesure, il va pénaliser en même temps les conjoints et les enfants et décourager encore plus les gens dans leurs efforts ? "
Michel Sawyer, président du Syndicat de la fonction publique du Québec, a confirmé également l'impasse dans laquelle le ministre est en train de placer les fonctionnaires : "Lorsque des emplois sont disponibles et que des personnes sont capables de les assumer, les fonctionnaires les offrent et les personnes les prennent. Sinon, c'est qu'il y a un problème. C'est à cela qu'il faut s'attaquer, pas aux personnes. Nous avons beaucoup collaboré au cours des dernières années à améliorer les relations au guichet, à offrir des services adaptés aux différentes situations, notamment par des programmes comme "Ma place au soleil". Il est évident que l'application de la loi 112, que nous supportons, va nécessiter non pas moins, mais plus de crédits. De voir le ministre se préparer à en financer l'application à même les revenus des personnes assistées sociales et en coupant dans le personnel est d'un cynisme dont nous espérons que la population ne sera pas dupe."
Claudette Carbonneau, présidente de la CSN, a poursuivi : "Il faut relier cette décision à l'ensemble des choix faits par le gouvernement depuis son élection. Avec du grand théâtre, il s'est empressé de barbouiller de rouge les finances publiques pour imposer un retour aux compressions budgétaires. Il n'a pas hésité à mettre un frein à l'équité salariale et aux garderies à 5$, ce qui pénalise les femmes et les jeunes, les deux groupes les plus touchés par la pauvreté. Avec le même empressement, il a annoncé aux entreprises son intention d'ouvrir les vannes de la sous-traitance ce qui se soldera par plus de travail précaire et des bas salaires, deux autres facteurs de pauvreté. Dans son budget et ses crédits budgétaires, il n'a pas hésité à serrer la vis aux régions et aux pauvres. Ce gouvernement a aussi refusé d'assujettir le travail saisonnier au salaire minimum, des emplois qui seront certainement offerts aux personnes en situation de pauvreté. Il veut aussi relever de leurs obligations de formation de la main-d'œuvre les petites entreprises, alors que la formation continue est un enjeu crucial pour le développement du Québec. "
"Le résultat c'est qu'on est en train de créer plus de pauvreté. Baisser les impôts et réduire les services, c'est payant pour une petite minorité mais ça plonge les États dans le rouge, comme c'est le cas actuellement aux États-Unis. Le Québec est aujourd'hui cité en exemple. Il ne faut pas reculer mais avancer et continuer à miser sur l'entraide et la solidarité sociale parce que ce sont aussi des facteurs de développement."
Le Collectif, qui rappelle qu'il n'y a pas de paix sociale sans justice, presse la députation libérale qui sera réunie en caucus à Québec à la mi-juillet de s'assurer auprès de son chef que le gouvernement reprenne ses sens et qu'il applique maintenant avec la cohérence et la constance voulue la loi qu'il a contribué à faire voter. Il la prévient aussi que son réseau, réparti dans toutes les régions du Québec, se rend compte du double langage tenu présentement par le gouvernement. Ce réseau ne laissera pas détourner de son sens sans agir une loi qu'il a mis cinq ans à faire exister.