Dans un éditorial du Soleil du 25 décembre 1999, Brigitte Breton souhaitait un véritable débat public sur la Proposition du Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté. Nous en sommes manifestement là avec l'initiative de Gérald Ponton de publier son opinion dans le même journal. Ce débat est souhaitable et nous l'invitons : il faudra tout de même savoir à quoi nous nous engageons avant de nous donner une loi-cadre sur l'élimination de la pauvreté.
Le pdg de l'Alliance des manufacturiers et exportateurs du Québec pose des questions de fond qui méritent réponse. En gros, et en admettant que la pauvreté ne doit pas nous laisser indifférents, il ne croit pas au «salut par l'État», une option qu'il croit retrouver dans la Proposition du Collectif. La solution réside pour lui dans la croissance économique et dans la libre initiative des individus et des organisations, qui s'impliquent d'ailleurs, dit-il, dans des organismes visant «l'aide aux plus démunis».
Le problème est que les gens ne sont pas pauvres parce qu'ils sont démunis. Ils, et surtout elles, sont pauvres parce que la société génère et tolère la pauvreté dans son modèle d'organisation, au point d'oublier que nous faisons tous partie de la même humanité, égale en dignité et en droit.
Pour le moment, le salut ne vient ni par l'État, ni par la croissance économique, ni par la bonne volonté, même si tous ces ingrédients peuvent être considérés dans une stratégie globale de lutte contre la pauvreté.
Le salut ne peut venir d'un État qui augmente les inégalités par ses politiques budgétaires et qui cherche à se modeler aux pressions du marché et des États voisins au point de déshabituer une population et des entreprises de leur devoir de contribuer aux services communs alors qu'il a fallu des générations pour s'y habituer.
La croissance économique est au rendez-vous depuis une très longue période. Elle n'a pas empêché l'accroissement fulgurant de l'écart entre la capacité du cinquième le plus riche et celle du cinquième le plus pauvre de la population d'accéder à des revenus privés. Même Bernard Landry, qui souscrit indéniablement aux mérites de la main invisible du marché, l'a dit devant des militants en 1998 : «On constate que cette main invisible qui réussit si bien à produire la richesse n'a aucun talent pour la répartir».
Quant à l'action charitable, financée à travers la générosité de quelques-uns malgré le désengagement des autres, elle ne peut remplacer (et citons ici l'excellent rapport de Centraide Québec, Une société en déficit humain) la solidarité de tous en regard du bien commun à travers l'État. C'est même ce qui légitime le rôle d'un État et c'est à cela que se mesure une démocratie, bien plus qu'à l'accroissement du volume de l'aide en provenance des banques alimentaires.
Là où Gérald Ponton a raison, c'est quand il affirme que la solidarité ne se délègue pas, même à l'État. L'État tel que l'envisage la Proposition du Collectif ne déresponsabilise personne, il devient au contraire l'instrument des solidarités, avec redditions de comptes et vigilance citoyenne active et permanente.
Alors reposons le problème autrement. La société québécoise doit d'abord se demander si elle veut sérieusement devenir une société sans pauvreté et s'en donner les moyens. Si la réponse est oui, il faut un saut qualitatif. Compte tenu que nous n'y avons jamais réussi par les moyens connus, il faut apprendre à voir le problème et sa solution autrement. L'approche par la culpabilité, celle des riches, mais surtout celle des pauvres, ne fonctionne pas, parce que ce n'est pas de vertu individuelle dont il est question, mais d'une échelle sociale qui rend tout le monde inconfortable en nous mettant constamment en situation d'inégalité. L'approche par contrat ne fonctionne pas non plus, parce que ce qui est à changer n'est pas à échanger, mais à développer. L'avenir n'est pas dans la loi du talion, qui dit œil pour œil et dent pour dent, mais dans un projet de développement durable, dans une approche où nous chercherons avant tout à comprendre, agir et apprendre. Nous sommes une espèce en évolution, qui a besoin de rêver, mais de «rêver logique» pour accomplir ses rêves.
C'est ce rêve logique que nous avons essayé de formuler avec des milliers de personnes de toutes conditions sociales depuis deux ans. Le fruit de ce travail c'est une proposition de loi en bonne et due forme qui réunit le meilleur de ce qu'elles avaient à offrir et notamment une expertise manquante dans les programmes et les politiques, celle des personnes qui vivent elles-mêmes la pauvreté. Elle met de l'avant des principes, des objectifs, un programme avec des étapes et des moyens d'évaluer, de se reprendre et de rester sur sa visée. Ce travail étant fait et bien fait, s'il a quelque prétention à l'efficacité, le gouvernement aurait avantage à recevoir cette proposition à son mérite, à l'étudier avec celles et ceux qui la proposent et à partir de là en la considérant comme un plus à sa propre expertise. Comme une intuition du saut qualitatif nécessaire.
Vivian Labrie,
Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté