La proposition de loi dans une perspective «santé et services sociaux»

Des consultations sont en cours au Québec sur l’avenir du système de santé et de services sociaux, notamment à travers les travaux de la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux. Des questions se posent sur l’organisation et la réorganisation des services de santé au Québec, de même que sur leur financement.

Compte tenu de l’important travail de consultation populaire qui a présidé à la rédaction de la Proposition du Collectif, nous avons pensé qu’il pourrait être utile de réfléchir à partir de cette proposition et de l’annoter pour en mettre en évidence les aspects qui touchent à la santé et aux services sociaux et montrer comment une approche globale de lutte à la pauvreté peut s’avérer positivement structurante dans un contexte où on veut s’assurer de bien ajuster les services communs en santé et services sociaux tant au plan des objectifs poursuivis, que de la manière la plus efficace de les assurer et de la capacité de la société à bien le faire.

Remarques générales

Dans un premier temps, voici quelques remarques générales pour mettre en contexte les positions prises dans cette proposition.

1.

Depuis 1997, l’idée qu’on se donne au Québec une loi cadre sur l’élimination de la pauvreté a reçu l’adhésion de plus de 185 000 personnes et 1400 organismes. Le texte qui suit a été mis au point pendant l’année 1999-2000 suite à une importante consultation populaire menée en 1998-1999 auprès de milliers de personnes partout au Québec, dont des personnes en situation de pauvreté. Il a été pensé et rédigé comme une vraie loi et il en démontre la possibilité. Une première version a été rendue publique le 9 décembre 1999. Pour en débattre en vue de l’adopter, le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté a convoqué entre cette date et le 17 mars 2000 des sessions parlementaires populaires qui ont eu lieu dans pratiquement toutes les régions du Québec à l’initiative des différentes organisations relayeuses de ce projet. Une version finale, ajustée suite aux rapports de ces sessions, a ensuite été préparée par l’équipe de rédaction et le comité de contenu du Collectif. Elle a été présentée aux déléguéEs des organisations relayeuses, qui l’ont unanimement adoptée lors d’une session de clôture qui a eu lieu à Québec les 19 et 20 avril 2000. Cette étape citoyenne, pré-législative, inusitée dans la coutume québécoise d’élaboration des lois, montre qu’une société peut se donner le moyen de préciser le contenu d’une idée à laquelle elle croit avant de prendre l’initiative d’en requérir la réalisation auprès de son parlement. Ce texte étant désormais établi, le Collectif veut maintenant aller de l’avant de façon non partisane auprès du gouvernement et des membres de l’Assemblée nationale du Québec en vue de faire exister cette loi.

2.

La consultation menée par le Collectif pour construire cette Proposition a mis en évidence la très grande importance accordée par les milliers de personnes qui y ont participé à un système de santé à une seule vitesse, universel et financé par tous pour tous à travers la fiscalité. Même si la question de la santé ne figurait pas comme telle dans la base de discussion mise au jeu initialement, quand on a demandé aux gens ce qu’ils et elles voudraient voir dans une loi sur l’élimination de la pauvreté, cette préoccupation est revenue constamment et se retrouve tout de suite après l’emploi, le revenu, la fiscalité, l’éducation, le logement, parmi les sujets ayant fait l’objet des plus grands nombres de commentaires. Voici un résumé des préoccupations les plus exprimées.

L’insuffisance des ressources et la très grande crainte d’un régime de santé à deux vitesses.
Le coût élevé des médicaments et l’impossibilité de les payer avec un budget serré.
Le fait que l’État se déresponsabilise de beaucoup de services sur les milieux communautaires et familiaux, qui n’ont pas les ressources pour le faire.
Le fait de ne pas considérer les facteurs sociaux des maladies (malnutrition, stress, violence, besoins essentiels non satisfaits, etc.).
Le manque d’information de la population et plus particulièrement des personnes pauvres.
L’inaccessibilité de certaines ressources pour les personnes vivant en région.
L’insuffisance de réponses adéquates à l’isolement et à la détresse.
La difficulté d’établir une bonne relation entre les personnes et les intervenants en raison des jugements, manques de compréhension et autres distortions liées à l’existence d’une situation de pauvreté qui s’introduisent dans la relation et qui empêchent les meilleurs soins possibles.

3.

Nous avons tenu compte de ces préoccupations dans la rédaction de la proposition finale et nous avons tenté d’y répondre à la fois au plan des principes, des objectifs, des éléments de programmes et des mécanismes.
Dans l’architecture de la proposition, on retrouvera notamment les considérations suivantes.

L’introduction dans le préambule de la proposition d’une considération sur les conséquences de la pauvreté sur la santé.
L »inclusion du droit aux services de santé dans la définition du droit à un niveau de vie décent
Des objectifs et des mesures prévoyant l’amélioration du revenu et des conditions de vie des personnes en situation de pauvreté, notamment la couverture des besoins essentiels au niveau de la sécurité du revenu, dans les différents plans.
Une mesure urgente visant le rétablissement de la gratuité des médicaments pour les personnes assistées sociales ou recevant le supplément de revenu garanti.
La réaffirmation dans le premier plan d’action d’une option pour un système à une seule vitesse, universel et financé par la fiscalité.
Une option pour la transformation du système d’assurance-médicaments en système public.
L’affirmation de la responsabilité de toute la société, notamment à travers l’offre de services publics, en regard de la famille, des enfants, des jeunes, des aînéEs, des personnes sans abri, en détresse, en perte ou en manque d’autonomie et en regard du droit au support et au répit pour les proches qui en ont la responsabilité.
La recherche de solutions ayant pour effet que les handicaps et limitations fonctionnelles de toutes sortes n’aient pas d’effets discriminatoires ou pénalisants tant au niveau de l’accès à la sécurité du revenu ou à la participation à l’emploi et à l’activité.

4.

Rappelons que dans la Politique québécoise de santé et de bien-être, la pauvreté est considérée comme un déterminant de la mauvaise santé. Agir contre la pauvreté, c’est donc travailler en amont à l’amélioration de la santé de tous et de toutes et de là, à la diminution du poids organisationnel et financier relié à la prestation de services destinés à remédier à des situations qui auraient pu être évitées. Déterminer une stratégie globale de lutte contre la pauvreté dont les principes, les objectifs et les moyens d’actions sont clairs devient alors une façon d’imputer à l’ensemble de l’action gouvernementale et non à un seul ministère une responsabilité qui se situe en amont de la responsabilité spécifique de ce ministère. De même adopter des mécanismes de suivi, de vigilance et de vérification que cette action reste conforme à ses principes et à ses objectifs est une manière de prendre de bonnes habitudes collectives qui ne manqueront pas de produire un effet structurant à long terme, évitant ainsi des réponses à la pièce dans un environnement restant défavorable.

5.

De même, dans Pour réduire les inégalités de santé et de bien-être liées à la pauvreté, 1999, un document de consultation du Comité ministériel sur la réduction des inégalités de santé et de bien-être liées à la pauvreté du Ministère de la santé et des services sociaux du Québec, une large part est faite au rapport entre les inégalités socio-économiques et la santé. On y cite notamment les travaux de Marmot sur les gradients socio-économiques. Ces travaux mettent en évidence que même en annulant les effets liés à la fréquence plus grande chez les personnes plus pauvres de comportements et pratiques à risque pour la mauvaise santé, l’état de santé des personnes tendra à varier selon leur niveau de revenu et leur position sociale : « Il semble y avoir un facteur associé à la position dans la hiérarchie sociale, qui prédispose à la maladie et à la mort prématurée, et que la médecine ne peut guérir » [page 11]. Le facteur identifié est le stress plus grand lié à l’insécurité financière et à l’insuffisance des revenus. « La situation financière des familles québécoises s’avère un déterminant fondamental de leur état de santé physique et psychologique » [page 13]. L’accès des personnes et des familles à un meilleur revenu devient donc un moyen d’améliorer la santé, tout comme il a été démontré dans le domaine de l’éducation que le revenu des familles avait une incidence assez directe sur la performance scolaire des enfants. Une société en meilleure santé ayant moins besoin de soins nécessités par la mauvaise santé, on peut voir dans l’amélioration des revenus des plus pauvres une solution directe, par allègement en amont, au problème constaté d’organisation et de financement des services. De même il est su que les société démontrant des écarts de revenus moins grands au sein de leurs populations sont en meilleure santé générale.

6.

Les consultations que nous avons menées tendent à rejoindre les définitions globales de la santé utilisées dans les documents internationaux (par exemple, définition de l’Organisation mondiale de la santé, Déclaration de Djakarta). Selon des propos recueillis lors de rencontres que nous avons tenues avec des personnes en situation de pauvreté, la capacité de répondre à ses besoins et à ceux des siens, de participer à l’activité de sa société, d’en influencer les décisions, ce serait cela, la santé. Or cette capacité varie selon le niveau de revenu. Comme a dit un participant, c’est comme un entonnoir : « quand tu es en haut, tu respires, quand t’es dans le tuyau, tu soupires ». Et dans le tuyau, on n’est pas dans la santé. On est dans un cercle restreint qui ne permet pas de réaliser des droits pourtant reconnus. On aperçoit la santé dans un élargissement encore inaccessible de ce cercle, dans une capacité de se mouvoir et de respirer qui n’est pas là pour vrai et à laquelle on aspire. Pour toutes ces raisons, améliorer les conditions de vie au bas de l’échelle, réduire les écarts, c’est causer de la santé et contribuer à rééquilibrer un système rendu malade par le désengagement des uns et l’indifférence des autres.

7.

On nous permettra de faire remarquer que le système de santé est un système hautement hiérarchisé qui tolère d’énormes écarts de revenus entre ses travailleurs les mieux et les moins bien rémunérés et d’énormes écarts dans la capacité d’influence de ses diverses composantes. C’est aussi un système très sensible à des marchés en développement rapide notamment au niveau de la technologie médicale et de l’industrie pharmaceutique. Pour éviter de subir des influences indues et de se détourner de ses objectifs premiers, une grande vigilance est nécessaire. Nous avons encore à l’esprit la déclaration du président de la Fédération des médecins spécialistes à la Commission sur la réduction des impôts des particuliers en octobre 1999, à l’effet qu’il faut avoir le courage politique de hausser les revenus des plus hauts salariés, qu’on n’est plus à l’heure de l’égalitaire comme au sortir de la Révolution tranquille au Québec, mais à l’heure de la mondialisation et qu’en ce qui concerne les moins bien nantis, le Québec a déjà donné. Quand un intervenant aussi influent est prêt pour des questions d’intérêt corporatiste à mettre de côté des valeurs communes aussi fondamentales que l’égalité en droit et à tolérer un niveau de pauvreté qui empire la santé de ceux et celles qu’il est appelé à soigner et accroît la demande de services pour lesquels il réclame une meilleure rémunération, il y a lieu de commencer à s’en inquiéter. Certains interlocuteurs influents ne seraient-ils pas eux-mêmes des facteurs de l’accroissement des inégalités et des acteurs des coûts accrus du système?

8.

Enfin, le fait d’avoir eu à travailler attentivement le cadre de référence d’une proposition de loi cadre plausible nous a rendus plus sensibles aux cadres de référence qui président aux différentes consultations auxquelles procède le gouvernement. Tout comme il nous semble impensable de concevoir une politique globale de lutte à la pauvreté efficace dans le sens de son objectif sans s’entendre au préalable sur ses principes fondateurs, il nous semble pratiquement impossible de restructurer un système de santé et d’en contrôler correctement les coûts sans énoncer clairement la mission, les principes et les objectifs qui doivent impérativement être respectés et tenus en compte dans les choix à faire. Bien présents dans la Politique québécoise de santé et bien-être, ils sont peu énoncés dans la consultation présentement en cours, ce qui pourrait conduire à faire des choix apparemment valables, mais éventuellement démobilisants et contradictoires avec les valeurs auxquelles la population tient et pour lesquelles elle est prête à un effort particulier.

9.

De même, un apprentissage est en émergence à travers l’effort qui est fait au plan international de se donner des politiques globales de lutte à la pauvreté : de telles politiques ne pourront être efficaces que dans la mesure où elles feront droit et place à l’expertise des plus pauvres. Notre travail nous en a constamment démontré la pertinence pour au moins trois raisons : certains aspects du problème ne peuvent être révélés que par ceux et celles qui les vivent, le fait de voir sa pensée prise en compte fait exister la personne en tant qu’actrice et initie de ce fait un retournement qui fait passer de l’exclusion à l’intégration de plein droit, et enfin, en écoutant et en apprenant des personnes concernées on diminue le risque d’investir temps et ressources dans des solutions inopérantes et prévisiblement inopérantes. Cette dimension pourrait être transférée utilement à la problématique de la santé et des services sociaux. Imaginons seulement par exemple quelles solutions au problème du choix du point d’entrée dans le système pourraient émerger d’un travail d’idéation effectué avec les personnes qui ont à fréquenter le système de santé.

10.

Pour que cette expertise collective puisse rendre tous les services qu’elle est en mesure de rendre, il faut d’autre part une écoute et une capacité de prise en compte des propos tenus, ceci pour que les paroles portent et aussi pour prévenir que ceux et celles qui prennent la peine de parler ne se lassent. Nous avons été impressionnés par les convergences entre les cris du cœur résultant de la consultation populaire que nous avons menée et les positions prises par les différents regroupements représentés au sein du Collectif. Il faut donc aussi parler de l’expertise des organisations qui représentent les personnes en situation de pauvreté. Un regroupement multisectoriel, communautaire et syndical, comme par exemple dans le cas qui nous occupe ici, la Coalition Solidarité Santé, ne peut que refléter l’opinion d’une partie substantielle de la population, ne serait-ce que par tout le travail de remontée et de mise en commun supposé par une prise de position commune. Plusieurs fois par le passé, de tels mouvements citoyens ont dénoncé des situations inacceptables et proposé des solutions humaines et intéressantes qui ont été peu prises en compte, jusqu’à ce que le temps leur donne raison. Des coûts humains importants pourraient être évités et le bien commun pourrait être mieux servi par une prise en compte plus rapide de ce que savent déjà les groupes qui sont sur le terrain : ce dont il faudra convenir un jour, pourquoi ne pas en convenir plus vite?

11.

Nous noterons pour terminer que l’approche globale préconisée par le Collectif dans sa proposition de loi trouve des points d’appui dans l’évolution des pratiques dans le système de santé et de services sociaux. On pourrait donner comme exemple la prise en compte de l’expertise des familles dans le programme Naître égaux, grandir en santé. Ou encore l’importance prise par la question de la pauvreté dans les priorités nationales de santé publique. Ou encore la décision de mettre en place un comité ministériel sur la réduction des inégalités de santé et de bien-être liées à la pauvreté. Ces convergences au plan des constats et des visions expliquent sans doute l’adhésion importante à notre travail que nous avons pu constater dans le réseau de la santé et des services sociaux. Plus du tiers des clsc du Québec et déjà cinq régies régionales de santé ont fourni un appui écrit et très souvent circonstancié par résolution de leur conseil d’administration au processus mis en branle par le Collectif en vue de l’adoption d’une loi cadre sur l’élimination de la pauvreté. Il doit y avoir là un signe que ce projet et sa méthodologie apportent une réponse adéquate à des aspirations importantes.

12.

Un enjeu de bien commun est sur la table dans le domaine de la santé et des services sociaux et la réponse devra en tenir compte. Or cette réponse risque d’être surinfluencée par de puissants lobbys provenant de catégories de la population déjà situées en haut de l’échelle. On pourrait proposer les trois principes mis de l’avant dans la Proposition du Collectif comme trois contre-questions permettant de vérifier que les solutions choisies restent de l’ordre du bien commun :

Les solutions choisies pour rééquilibrer le système de santé et son financement reflètent-elles une priorité de lutte contre la pauvreté?
Occasionnent-elles une réduction des écarts entre les plus riches et les plus pauvres? Font-elles primer l’amélioration du revenu et des conditions de vie du cinquième le plus pauvre de la population sur celle du revenu et des conditions de vie du cinquième le plus riche?
Ont-elles recours à l’expertise des personnes qui vivent la pauvreté et de leurs organisations et se laissent-elles influencer par ce qu’elles en apprennent?
La Proposition du Collectif est le résultat d’un gigantesque travail de réflexion collective.

Des milliers de personnes ont dit : Faisons-le! Et elles l’ont fait. Ce faisant elles ont tracé la voie d’une société généreuse et attentive à tous ses membres.
Il s’agit maintenant de s’y engager. C’est possible et ce sera bon pour tout le monde.