Plan de lutte à la pauvreté: Quel chemin prendra le gouvernement?
Récemment, le ministre François Blais a confirmé l’intention de son gouvernement de dévoiler avant l’été le troisième Plan d’action gouvernemental en matière de lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale. Le prochain budget québécois devrait d’ailleurs comprendre certaines annonces en lien avec ce plan.
Lettre ouverte d’Eve-Isabelle Chevrier et Serge Petitclerc, respectivement directrice générale de la Table nationale des Corporations de développement communautaire et porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté
Fait intéressant, le ministre Blais a avoué publiquement que les deux précédents plans d’action s’étaient soldés par un échec parce qu’ils n’avaient pas permis au Québec d’atteindre l’objectif de devenir l’une des nations industrialisées comptant le moins de personnes vivant en situation de pauvreté. Nous croyons que le ministre aurait pu aller plus loin et faire le constat qui s’impose : la pauvreté n’a pas reculé au Québec depuis l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale en 2002.
Pour que le gouvernement arrive à livrer un plan de lutte à la pauvreté efficace, et non seulement un « meilleur » plan, nous lui soumettons aujourd’hui nos recommandations.
Les incontournables
Au-delà des intentions, les mesures mises en place par un tel plan doivent mener à une amélioration significative des revenus et des conditions de vie des personnes les plus pauvres. Sur ce point, l’amélioration de notre filet de sécurité sociale est le premier des incontournables. Rappelons-nous que les protections publiques actuelles (comme l’aide sociale, le Régime de rentes du Québec, l’aide financière aux études) ne permettent pas aux personnes sans emploi ou à très faible revenu d’avoir un revenu suffisant pour couvrir leurs besoins de base et vivre en santé.
De la même manière, le gouvernement du Québec ne peut ignorer le phénomène des travailleurs et des travailleuses pauvres, ceux et celles qui gagnent des salaires trop bas pour pouvoir sortir de la pauvreté, même en travaillant à temps plein. Rappelons-nous que le quart des personnes en emploi se retrouvent avec un salaire de moins de 15 $ l’heure, le minimum pour sortir de la pauvreté si on vit seul. Il faut aussi considérer que les emplois près du salaire minimum sont souvent précaires ou atypiques (à temps partiel, temporaires, etc.).
Enfin, dernier incontournable, on ne peut s’empêcher de parler de l’accès aux services publics. Si l’amélioration du revenu des plus pauvres (emploi, programmes sociaux et transferts fiscaux) est la pierre d’assise de la lutte à la pauvreté, les services publics sont eux aussi un rempart contre l’appauvrissement et l’accroissement des inégalités sociales. Un logement social, de l’aide aux devoirs, la gratuité des médicaments, de bas tarifs d’électricité sont autant de mesures qui peuvent faire une grande différence pour les personnes en situation de pauvreté.
D’autres facteurs de réussite
Au-delà de ces grands axes, une myriade d’autres enjeux doivent être considérés dans le prochain plan de lutte à la pauvreté. En voici deux : la reconnaissance du milieu communautaire et le soutien à l’action locale.
D’abord, si le gouvernement reconnaît l’importance de l’action communautaire en matière de lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale, encore faut-il que cela paraisse sur le terrain par un meilleur financement à la mission des groupes communautaires. Ces acteurs agissent aux niveaux local, régional et national pour représenter la parole et le vécu des personnes en situation de pauvreté ainsi que pour offrir un ensemble de services alternatifs à la population, que ce soit en matière d’aide alimentaire, d’alphabétisation, de défense des droits, d’égalité femmes-hommes, d’éducation populaire, de formation en emploi, etc.
Ensuite, bien que l’action locale ne puisse aucunement remplacer des mesures gouvernementales structurantes, force est de constater que c’est sur le plan local que se génèrent plusieurs projets pertinents et porteurs pour les communautés, issus de la concertation entre organismes communautaires et acteurs publics. On n’a qu’à penser à des initiatives telles que les coopératives d’habitation, la création de marchés publics de quartier, le développement de transports collectifs, etc. Certaines de ces initiatives auraient difficilement pu voir le jour sans l’apport d’un financement territorial provenant de l’État québécois.
Oui, on peut faire mieux!
Rappelons finalement que la lutte aux préjugés, souvent menée par ces mêmes organismes communautaires sous-financés, doit aussi représenter une préoccupation centrale parce qu’ils sont un frein majeur à la lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale. Personne ne choisit d’être pauvre. Il faut cesser de casser du sucre sur le dos des plus pauvres et s’attaquer à la racine des problèmes.
Contrairement à ce qu’on entend régulièrement dans les médias, le Québec est une société riche. Et la richesse n’a cessé d’augmenter depuis l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Pour lutter efficacement contre la pauvreté, il n’y a rien de sorcier : il faut mieux partager cette richesse. Pour cela, il faut de la volonté politique.
Eve-Isabelle Chevrier et Serge Petitclerc