La charité pour lutter contre l’insécurité alimentaire?
Le 10 octobre dernier, à l’occasion de la « Semaine de la solidarité », la ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, Chantal Rouleau, invitait la population à donner généreusement au réseau des Banques alimentaires du Québec (BAQ) dans une vidéo publiée sur sa page Facebook. « Mettons les bouchées doubles. Parce que le geste le plus important… c’est celui qu’on pose! » affirmait-elle en conclusion de son plaidoyer pour la générosité individuelle.
Cette semaine, le Bilan-Faim 2023 est venu confirmer la gravité de la situation, avec une personne sur dix qui aurait eu recours aux services des banques alimentaires en 2023, du jamais-vu.
Mais est-il normal que des gens dépendent de la charité pour pouvoir manger convenablement ou même pour arriver à couvrir leurs autres besoins de base? Et est-il normal que la ministre responsable de la Solidarité sociale s’en remette à ce point aux banques alimentaires alors que son rôle devrait être de lutter contre la pauvreté?
Des droits à respecter
En 1969, en adoptant la Loi de l’aide sociale, le Québec confirmait sa rupture avec la gestion caritative de la pauvreté en instaurant un droit universel à l’assistance sociale, qui devait permettre de « combler les besoins ordinaires et spéciaux d’une famille ou personne seule qui est privée de moyens de subsistance ». Par ailleurs, depuis 1976, la Charte des droits et libertés de la personne reconnaît que « toute personne dans le besoin a droit, pour elle et sa famille, à des mesures d’assistance financière et à des mesures sociales […] susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent ».
Il est ici question de droits qui ne se sont jamais réalisés pleinement. De voir la ministre Rouleau lancer des appels à la charité pour contrer l’insécurité alimentaire n’est rien de moins que contraire à la mission de son ministère. Le respect des droits ne devrait pas dépendre de la générosité du grand public.
Manque flagrant de volonté politique
Déjà en 2016, le réseau des BAQ affirmait dans les conclusions de son Bilan-Faim que « le statu quo ne fonctionne plus : il est temps de réévaluer notre approche face au problème de la faim et de travailler pour un réel changement. […] Notre société pourrait faire le choix d’éliminer la pauvreté ou au moins de la réduire de moitié d’ici 2020. »
Puis cette semaine, ce même réseau des BAQ faisait état, dans son plus récent Bilan-Faim, d’une « montée vertigineuse » des besoins et rappelait, une fois de plus, l’urgence de s’attaquer aux causes de la pauvreté plutôt qu’à ses effets. « Bien qu’essentielle, l’aide alimentaire offerte par notre grand réseau solidaire demeure une intervention palliative au problème de l’insécurité alimentaire. Seule la lutte contre la pauvreté, qui passe par l’amélioration de notre filet social, peut apporter un réel réconfort. Il y a quelque chose de profondément brisé à l’heure actuelle. »
Ainsi, le financement des banques alimentaires demeure malheureusement nécessaire, mais le gouvernement doit comprendre que ce n’est pas cela qui fera reculer la pauvreté au Québec.
Un plan de lutte contre la pauvreté
L‘hiver prochain, la ministre Rouleau doit dévoiler le 4e plan d’action gouvernemental de lutte contre la pauvreté. Espérons qu’elle saura ajuster le tir et sortir de cette logique de charité et de simple gestion des conséquences de la pauvreté. Les nombreuses crises qui secouent le Québec – logement, itinérance, insécurité alimentaire – ont un dénominateur commun : l’insuffisance de revenu. La ministre doit mettre les bouchées doubles en rehaussant les protections publiques pour que tout le monde puisse au minimum satisfaire ses besoins de base.
Quand on est ministre responsable de la Solidarité sociale, le geste le plus important à poser, ce n’est pas de renouer avec la charité, c’est de présenter un plan d’action digne de ce nom.
– Lettre de Virginie Larivière, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté