Le ministre de la Santé, Philippe Couillard, a publié jeudi le 16 décembre 2004 ses propositions pour une politique du médicament. Elles feront l'objet de consultations dans quelques semaines (date limite pour le dépôt des mémoires : 4 février 2005). La politique était attendue. Son contenu montre que le ministre est atteint lui aussi de préjugite aiguë. Voici donc ce texte, avec une version mise en forme qui peut être téléchargée plus bas sur cette page.
Les faits
Voici les faits. Jean Charest et son parti se sont engagés avant et pendant les dernières élections, dans plusieurs écrits, dont le programme du parti, à rétablir la gratuité des médicaments prescrits pour les personnes âgées recevant le supplément de revenu garanti et pour l'ensemble des personnes assistées sociales . Ils ont même proposé à l'Assemblée nationale d'inclure cette mesure dans la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale quelques jours avant que celle-ci ne soit adoptée il y a maintenant deux ans.
Depuis l'élection, ils ont simplement maintenu le statu quo pour ces deux groupes de personnes, une franchise et coassurance de 16,67$ par mois, lorsqu'il y a eu des hausses de tarifs. Dans le document de consultation pour la politique du médicament publié hier, le ministre propose effectivement le rétablissement de la gratuité des médicaments pour les personnes âgées recevant le supplément de revenu garanti, mais il remet à plus tard, soi-disant en fonction des disponibilités financières qui se dégageraient des autres mesures, l'accès à la gratuité des médicaments pour les autres groupes de personnes à faible revenu.
Le choix de mépriser les deux tiers des personnes assistées sociales
L'annonce du 16 décembre montre à quel point un préjugé peut conduire au mépris des droits, de la logique et des personnes. Le ministre prévoit rétablir la gratuité pour un groupe de personnes dont le revenu est bas, soit environ 12 000$ par année. C'est une bonne chose. C'était d'ailleurs demandé par le milieu. Il remet toutefois la gratuité à plus tard, sans s'engager et de façon conditionnelle, pour des personnes qui ont un revenu deux fois plus bas, parce que ce sont des personnes assistées sociales jugées sans contraintes sévères à l'emploi, c'est-à-dire les deux tiers des personnes assistées sociales. C'est de la pure discrimination fondée sur la condition sociale, au mépris de notre commune humanité.
C'est une discrimination qui se répète dans les décisions gouvernementales au point d'être devenue prévisible. Qui punit-on, appauvrit-on, isole-t-on systématiquement comme des parias dans le plan d'action sur la pauvreté, dans le projet de loi 57, dans les modifications au règlement ? Des personnes à propos de qui d'autres jugent arbitrairement que si elles sont à l'aide sociale, alors qu'on estime qu'elles pourraient travailler, elles doivent en être responsables quelque part. Sans savoir qu'une fraction importante d'entre elles ont des revenus de travail, mais tellement faibles qu'elles ont quand même accès à l'aide sociale. Sans connaître tous les facteurs qui précipitent des personnes, voire des communautés, vers l'aide sociale. C'est ainsi qu'on s'autorise à établir des règles pour un autre qu'on soupçonne au lieu de s'imposer de choisir les règles avec lesquelles on voudrait, soi, être traitéE.
Un message qui rend fou
Regardons bien le message qui est envoyé aux personnes assistées sociales : «Vous recevez 533$ par mois. Le ministre de l'aide sociale va dévaluer votre prestation en janvier en ne l'indexant qu'à moitié. Cela va augmenter les risques sur votre santé. Ensuite le ministre de la santé vous dit que vous êtes en bas de la liste pour retrouver un accès aux médicaments que vous aviez et que vous avez perdu en 1997 avec l'instauration de l'assurance médicaments.
La prestation de base à l'aide sociale ne suffit pas à se loger, se nourrir et se vêtir. Elle n'est par ailleurs pas calculée pour inclure cet autre besoin fondamental : se soigner. Ce besoin était pris en compte par un accès gratuit aux médicaments prescrits. Et la prestation n'a pas été réajustée pour le faire une fois que cet accès a été perdu.
À 533$ par mois, une personne atteint le zéro dollar quelque part dans le cours du mois. Si elle devient malade et qu'un médecin juge qu'elle a besoin de médicaments alors qu'elle n'a plus rien, quels sont ses choix ? Emprunter, attendre au début du mois suivant ou ne rien faire. Dans tous les cas, le coût pour la santé de la personne comme pour la santé publique augmentent. L'efficacité du traitement est menacée et la personne est placée devant un double message : votre médecin vous dit que vous avez besoin de médicaments, mais son ministre vous dit que vous n'y aurez pas accès.
Rappelons par ailleurs que ce ne sont pas les personnes qui fabriquent les prescriptions, mais bien leurs médecins, dont on vient ici neutraliser l'acte professionnel.
Ce n'est pas une question de coûts
Jean Charest et son parti étaient prêts à la gratuité pour ces deux groupes il y a deux ans. Il n'y a aucun argument qui puisse justifier d'attendre. La somme en cause pour rétablir la gratuité des médicaments à l'aide sociale est 17 M$ une goutte dans l'océan des dépenses de santé au Québec. C'est une somme fixe, qui n'a donc rien à voir avec ce qui cause l'inflation des coûts de santé. Bien au contraire, ne pas le faire, c'est fabriquer la mauvaise santé.
La pauvreté est le premier déterminant de la mauvaise santé au Québec. Mais on préfère rendre les gens malades et aider ensuite l'industrie pharmaceutique à faire des profits en faisant mine de les soigner.
Il y a mille endroits dans le système de santé où on dépense plus de 17 M$ pour des coûts moins nécessaires, sans compter tous les avantages et retours d'ascenseurs que l'industrie pharmaceutique distribue, bien plus haut dans l'échelle sociale, aux médecins et aux pharmaciens. Dire sérieusement dans une politique du médicament qu'il faudra attendre les économies réalisées par la politique du médicament pour réinstaller les personnes assistées sociales dans un droit aussi élémentaire devient un exploit de bouffonnerie.
Reboussoler la boussole
L'annonce du ministre de la Santé aura au moins eu le mérite de démontrer la sévérité de l'infection aux préjugés, qui est en cause ici. Les préjugés rendent fou. Ils protègent les inégalités et effacent les droits. Elle est devenue en quelques mois un des plus graves problèmes de santé publique au Québec, qui empêche de mener une lutte sensée contre la pauvreté pour la transformer plutôt en acharnement contre les pauvres.
Un débogage de premier ordre s'impose. Tout le monde comprendra qu'une société qui accorde la gratuité des médicaments à des personnes qui ont un revenu de 12 000$ devrait en conséquence le faire pour des personnes qui ont un revenu de 6 000$. C'est ce qu'on appelle l'équité verticale. Il faut une boussole bien déboussolée pour en venir à faire accroc à un tel principe. Et un aimant très puissant pour la déboussoler ainsi. Une boussole affolée affole... ou perd sa crédibilité.
Il y a dans cet enjeu du rétablissement de la gratuité des médicaments à l'aide sociale non pas matière à consultation, mais à décision pour avant-hier. Il serait impensable de voir le prochain budget du Québec passer à côté. Il y a là motif à un solide cas de conscience notamment pour les professionnels de la santé qui sont à même d'attester le problème de mauvaise gestion causé par ce préjugé. Quelle priorité budgétaire pourrait dépasser l'élémentaire 17 M$ en cause ici pour donner aux personnes les plus pauvres de cette société une garantie d'accès au contenu de la prescription que leur fait leur médecin et le 14 M$ qui était nécessaire pour garder aux prestations leur pouvoir d'achat en janvier par une indexation complète ?
En ces temps où on fait des vœux, rappelons qu'il n'y a pas de paix sans justice et pas de justice sans reconnaissance de notre commune humanité.
Ça suffit, les préjugés ! Messieurs et mesdames du conseil des ministres, reboussolez votre boussole et soignez vos préjugés. Vous perdez le nord. Et c'est le nôtre.
Vivian Labrie, Collectif pour un Québec sans pauvreté
Québec, 18 décembre 2004
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