Un Québec riche en haut de l’échelle ou riche de tout son monde?
Il y a vingt ans, en février, le gouvernement du Québec mettait en vigueur, partiellement, la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Cette loi adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale engageait la société québécoise et ses institutions politiques à « tendre vers un Québec sans pauvreté ».
(Lettre publiée dans Le Devoir du 15 février 2023)
Je veux rappeler aujourd’hui la proposition de loi citoyenne et la mobilisation importante qui avaient incité le gouvernement à présenter cette loi. La proposition citoyenne préconisait non pas de tendre vers un Québec sans pauvreté, mais d’en jeter les bases en dix ans, feuille de route à l’appui. Parmi les trois principes d’action qu’elle mettait de l’avant, elle comportait un principe, le deuxième, apte à fournir les marges de manœuvre budgétaires pour la réalisation de cette feuille de route en priorisant l’amélioration des revenus du cinquième le plus pauvre de la population sur celle des revenus du cinquième le plus riche. Ce principe d’action n’a pas été inclus dans la loi adoptée en décembre 2002. Il était crucial.
Vingt ans plus tard, une fraction significative de la population québécoise, dont beaucoup de personnes seules, ne dispose toujours pas du nécessaire pour couvrir ses besoins de base, un minimum déjà en deçà de la sortie de la pauvreté. Pourtant, des recherches montrent que les marges de manœuvre ont constamment été là pour régler ce déficit de couverture. Il aurait suffi d’appliquer le deuxième principe de la proposition de loi citoyenne, sans perte de niveau de vie pour le reste de la société. Au lieu de cela, l’amélioration du niveau de vie est globalement allée vers les ménages les plus à l’aise. Était-ce plus urgent que le déficit de couverture des besoins de base, qui est en réalité un emprunt de la société à l’espérance de vie, et de vie en santé, des plus pauvres ? Non.
Plus récemment, avec la pandémie et les crises multiples qui ont suivi, l’occasion aurait pu être là de prioriser durablement l’amélioration des revenus en bas de l’échelle plutôt qu’en haut. Cela n’a pas été le cas. Les milliards de dollars distribués en 2022 par le gouvernement québécois en montants ponctuels pour le coût de la vie, y compris à des particuliers déjà à bons et très bons revenus, n’auront pas d’effet sur le déficit chronique de couverture des besoins de base au Québec.
Le gouvernement s’apprête en 2023 à délester les finances publiques de quelque 2 milliards de dollars, de façon cette fois récurrente et réduisant d’autant les marges des prochains budgets. Comment ? En baisses d’impôts qui n’auront aucun effet pour le tiers des contribuables qui ne gagnent pas assez pour en payer, et qui profiteront en fait surtout aux contribuables les plus en moyens. Aussi bien dire qu’on va continuer d’emprunter une qualité de vie possible manquant à une partie de la population pour améliorer le revenu disponible de la partie la plus riche.
Ce genre d’aberration déjà coûteux pour les plus pauvres, et favorisant la surconsommation en haut de l’échelle des revenus, ne peut que devenir plus dommageable pour la vie ensemble avec la pression croissante des changements climatiques. La richesse qui peut compter le plus pour l’avenir du Québec est celle d’un bien-vivre mieux partagé, en revenus et en services.
Si le gouvernement et l’Assemblée nationale veulent honorer non seulement les vingt ans de la loi, mais aussi la mobilisation citoyenne qui l’a précédée et lui a succédé, et permettre à la société québécoise d’en bénéficier, la solution est là, avec une population bien informée de l’échelle de ses revenus, l’intelligence de notre commune condition humaine, et des priorisations à l’avenant vers une société riche de tout son monde.
Québec, le 14 février 2023