Pour douze journées, du 22 juin au 3 juillet, cinq QuébécoisE ont séjourné en France à l’invitation d’Emmanuel Bodinier, dit Manu, un ancien stagiaire au Collectif qui a organisé le séjour de la délégation à Chambéry, petite ville médiévale de Basse-Savoie plantée au pied des Alpes.
Ces «rencontres autour d’initiatives de lutte contre la pauvreté» ont été une occasion, au fil d’échanges formels et informels, de mettre en dialogue plusieurs expériences différentes, dont celle de la proposition de loi du Collectif et celle de la loi contre les exclusions en France, promulgée en 1998, suite à une démarche bien différente de celle mené au Québec par le Collectif.
La délégation du Collectif était formée d’André Lemire et Louise Bergeron, toutEs deux du Groupe-Ressource du Plateau Mont-Royal ainsi que de Vivian Labrie et Christian Dubois, de l’équipe de travail du Collectif. Guillaume Brien, invité par Manu pour son expertise du milieu coopératif, complétait le groupe.
Vivian, bien entendu, parlait de la démarche du Collectif, ce que complétaient les autres à partir de leur propre implication dans la démarche du Collectif. Elles et ils partageaient également leurs expertises variées. Ainsi, Louise apportait l’expérience des initiatives citoyennes du Groupe-ressource, dont les groupes coopératifs d’achats alimentaires. André, pour sa part, partageait sa connaissance personnelle de la pauvreté et son implication au Groupe-Ressource jusqu’à la présidence du conseil d’administration. Christian, fort de son travail au Centre des médias alternatifs du Québec lors du Sommet des Amériques, ajoutait une perspective «mondialisée». Quant à lui, Guillaume parlait d’économie solidaire et de coopération.
Cette variété dans les présentations a fait dire à un élu rencontré à Chambéry que les «Québécois (sic) ont une approche globale très rafraîchissante».
Compte-rendu d’échanges riches en enseignements
La série des rencontres formelles débute le 25 juin à Lyon aux locaux d’ATD-Quart monde avec une rencontre de terrain réunissant un dizaine de personnes militant dans l’organisation. Elles connaissent pour plusieurs des situations de grande pauvreté. Cet échange porte principalement sur la loi française contre les exclusions.
Le groupe québécois cherche à tirer les leçons de l’expérience française pour la suite de son travail. Voici en gros ce qui en ressort. «Essayez de travailler avec les hommes politiques et de ne pas perdre votre temps en le faisant. Dites-leur: si vous étiez dans cette situation-là, supporteriez-vous d’être humilié alors que vous avez ce droit? C’est bien qu’on parle de la misère, mais il faut pas qu’on donne dans l’assistanat. On dit essayez, parce que c’est très dur de travailler avec eux, mais en restant rigide sur les orientations. Et n’ayez pas peur de répéter le mot partout, partout, dans le métro, partout, pour que le monde soit au courant.» Les militantEs d’ATD expliquent également qu’il faut rester vigileantEs, que même si la loi est passée il faut bien la connaître pour être en mesure de réclamer les droits qu’elle assure en théorie à un système qui, en pratique, ne les assure pas toujours.
Le lendemain à Chambéry, le groupe rencontre des gens de TRIALP, une entreprise d’insertion spécialisée dans le tri de déchets. C’est l’occasion d’une réflexion portant sur l’exclusion, la pauvreté et l’économie qui jette les bases d’un bon débat sur les enjeux de l’insertion: insertion uniquement par l’emploi? Dans quel système économique? Dans quel genre d’emploi? Par la suite, le groupe se rend à Grenoble pour rencontrer, sur un banc public, Chantal Pot, médecin longtemps volontaire du mouvement ATD, qui a été une actrice importante du processus de la loi contre l’exclusion. Elle tire de son expérience plusieurs leçons importantes pour le processus québécois. «Il faut viser très haut une fois que la base est forte.» La journée se termine à Grenoble par une rencontre informelle avec plusieurs intervenantEs dans un minuscule et très sympathique restaurant.
Le 27 juin, la délégation se déplace de nouveau à Lyon pour un échange de haut niveau avec des représentantEs de plusieurs associations, dont l’organisation Économie et humanisme, le Forum citoyen Rhône-Alpes et l’URIOPSS, qui regroupe 600 associations de la région. L’avant-midi prendra la tournure d’un séminaire sur des questions de fond à partir d’une question des québécoisEs: maintenant que vous savez ce que nous tentons de faire, qu’est-ce que ça vous dit, à vous qui avez une expérience concrète du processus français? La discussion débouche sur deux constats à garder à l’esprit pour la suite du processus québécois: l’importance de mener le travail au niveau sociétal – interpeller la société – plutôt qu’au niveau social – intervenir auprès de clientèles – et l’importance du temps citoyen libéré pour penser ensemble le bien commun. Ce n’est que si la mobilisation est au niveau sociétal que les vraies questions apparaissent.
Le matin du 28 juin, une vingtaine de militantEs et intervenantEs du Secours catholique, une des plus grosses organisations françaises d’aide aux personnes pauvres et exclues, arrivent dans les locaux des services diocésains de Chambéry. Le groupe québécois apprend que ce mouvement est en train de vivre une transformation radicale de ses perspectives par la décision prise il y a six ans de passer d’une vision de charité traditionnelle distributive à une volonté d’agir avec les personnes et d’aller vers elles pour partir de là ensuite. Ce n’est pas encore acquis, mais c’est en route.
Les rencontres se concluent le même jour, par une visite dans les locaux de l’association Un droit pour tous dans un HLM à Bron, en banlieue de Lyon. Elles sont environ vingt-cinq, surtout des femmes, maghrébines pour plusieurs, dans un local partagé par ATD et d’autres associations. «Diplômées en problèmes» et avocates du savoir de la vie dure, elles constatent qu’elles connaissent mieux la loi française contre les exclusions que leurs assistantes sociales grâce notamment à un livre écrit par ATD. Elles situent quelques défis pour la suite du processus québécois : ne pas baisser les droits – sic! -, faire connaître la proposition de loi, «la loi peut être bien faite, mais pas connue sur le terrain», recourir au bouche à oreille, ouvrir des lieux médiateurs pour la défense des droits. «Il nous a fallu onze ans de combat, je vous souhaite bon combat.»
Par la suite, la délégation québécoise se rend faire son bilan à Tignes, un petit village perché dans les magnifiques Alpes françaises.
Une confirmation de nos efforts
Les discussions sur la loi française ont souligné l’importance de la vigileance citoyenne dans tout le processus, autant avant, pendant, qu’après la mise en place d’une telle loi. Les différents échanges ont de plus validé la pertinence de notre méthode de travail pour faire avancer la loi en placant les personnes en situation de pauvreté au centre de notre démarche. Il est apparu que la démarche du Collectif se situe dans les grands courants qui émergent sur le terrain de la lutte à la pauvreté et, même, que notre travail, est un modèle du genre.
Les échanges reconfirment également que pour avancer sur le terrain de la lutte à la pauvreté, il faut interpeller l’ensemble de la société en posant la question des écarts et des inégalités et de notre responsabilité collective dans la perpétuation de cette problématique. Le défi du Collectif consiste maintenant à maintenir le cap sans faire de compromis sur ses principes fondamentaux, à continuer de rêver logique, à poser les questions difficiles, à garder l’initiative en refusant que l’on veuille notre bien à notre place et à être prêt à durer le temps qu’il faudra.