Pourquoi les personnes assistées sociales dites « sans contraintes à l’emploi » ne travaillent-elles pas? Une étude qui remet en question plusieurs idées reçues
Comment expliquer le refus du gouvernement québécois d’accorder une aide d’urgence aux personnes assistées sociales en cette période de crise, alors qu’elles sont durement touchées? Et comment expliquer son choix de maintenir les prestations d’aide sociale à un niveau permettant de couvrir à peine la moitié des besoins de base?
Coincé dans une logique d’incitation à l’emploi, le gouvernement semble croire que les personnes assistées sociales dites « sans contraintes à l’emploi » n’ont qu’à crier « ciseau » pour se trouver un emploi. Selon cette logique, elles seraient toutes prestataires de l’aide sociale par choix et n’auraient qu’à se prendre en main pour améliorer leur sort.
Aujourd’hui, le Collectif pour un Québec sans pauvreté et le Groupe de recherche interdisciplinaire et interuniversitaire sur la pauvreté, l’emploi et la protection sociale (GIREPS) présentent les résultats d’une recherche qui montre que, contrairement aux idées reçues, la très grande majorité des personnes assistées sociales aimeraient avoir un emploi et qu’elles perçoivent généralement le travail rémunéré comme une condition essentielle à l’exercice de leur liberté et de leur pleine citoyenneté.
En cherchant à mieux comprendre pourquoi les personnes assistées sociales dites « sans contraintes à l’emploi » n’occupent pas un emploi, cette recherche met en évidence de nombreuses difficultés structurelles ou systémiques qui influencent les parcours de vie, d’emploi et d’assistance sociale des personnes assistées sociales. Ainsi, les idées reçues sur les personnes assistées sociales et leur rapport au travail seraient souvent influencées par une perception négative liée à leur condition d’« assisté.e.s » et ne seraient pas le reflet de la réalité.
En s’appuyant sur des entretiens de groupe menés auprès de 44 personnes assistées sociales de 7 régions du Québec, la recherche a pour principal objectif de comprendre ce qu’elles pensent du travail rémunéré, à partir de leurs représentations du travail au sens large (salarié et non salarié) et de l’aide sociale, ainsi que de leurs valeurs et de leurs expériences. La recherche permet d’identifier de multiples embûches limitant leur accès au marché du travail. Il est à noter, par ailleurs, que la pandémie actuelle laisse présager des difficultés accrues pour ces personnes désirant travailler.
La grande majorité veut occuper un emploi
Dans la très grande majorité des cas, les personnes rencontrées, et qui sont jugées sans contraintes à l’emploi, veulent travailler. En effet, dans l’ensemble, elles partagent les mêmes idées et valeurs à propos du travail salarié que la population en général. Elles voient le travail salarié comme étant un élément central de la vie, qui permet une meilleure intégration économique et sociale. Elles recherchent un emploi dans lequel elles peuvent s’épanouir et se sentir utiles, tout en étant en mesure de respecter leurs limitations (souvent en matière de santé physique ou psychologique).
La recherche montre par ailleurs que, même si elles n’occupent pas un emploi, plusieurs d’entre elles « travaillent autrement », notamment en faisant du bénévolat ou dans le cadre de programmes d’insertion en emploi au sein du milieu communautaire.
Les principales raisons pour lesquelles les personnes assistées sociales dites sans contraintes à l’emploi ne travaillent pas
La recherche met en évidence que, bien qu’elles soient considérées « sans contraintes à l’emploi » par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, bien des personnes ont d’importants problèmes de santé physique ou psychologique qui les empêchent de trouver et d’occuper de façon durable un emploi qui procure un revenu suffisant pour sortir de la pauvreté. Nombreuses sont celles qui ont souligné la difficulté de faire reconnaître leurs problèmes de santé par le Ministère.
La recherche démontre également que, même si le fait de travailler à temps partiel leur conviendrait et que bon nombre des emplois disponibles sont de cette nature, cette option n’est pas envisageable. D’une part, elle ne l’est pas parce que le revenu gagné serait insuffisant pour subvenir à leurs besoins. D’autre part, les règles du programme d’aide sociale font en sorte qu’il leur est quasi impossible de combiner revenu de travail et aide financière de dernier recours. En effet, tout revenu gagné au-delà de 200 $ par mois pour une personne seule – montant que l’on atteint en travaillant environ 4 h par semaine au salaire minimum – se voit en quelque sorte « imposé » à 100 % puisque chaque dollar excédentaire est déduit de la prestation du mois suivant.
La recherche montre également que le montant insuffisant des prestations constitue, en soi, un obstacle à l’insertion sur le marché du travail. Les personnes doivent survivre avec un revenu mensuel équivalent au tiers de ce qui est présentement versé aux chômeurs et chômeuses dans le cadre de la Prestation canadienne d’urgence. L’état de grande pauvreté dans lequel le système d’aide sociale maintient les prestataires fait en sorte qu’il leur est difficile d’être bien informé.e.s des offres d’emploi (plusieurs n’ont pas de téléphone fixe, de cellulaire et/ou d’ordinateur branché à internet), de se présenter sur les lieux de travail (l’absence de transport collectif ou ses coûts élevés ont souvent été évoqués) et de répondre aux standards vestimentaires et esthétiques attendus par de nombreux employeurs. Le manque de ressources économiques rend aussi difficile le maintien d’un réseau social comme élément clé permettant d’accéder à l’emploi et à la mise en commun d’autres ressources (alimentation, transport).
L’étude constate aussi que les prestataires d’aide sociale sont nombreux à souligner que les employeurs ne veulent souvent pas les embaucher. Certain.e.s ont observé des pratiques de recrutement discriminatoires qui entravent à la fois leur accès au marché du travail et leur maintien en emploi. Les problèmes de santé, l’âge (notamment être considéré « trop vieux ») et le fait de posséder un casier judiciaire ont ainsi souvent été évoqués comme motifs de discrimination. Ces constats sont particulièrement préoccupants. Dans la mesure où les employeurs semblent réticents à embaucher des personnes à l’aide sociale en période de pénurie de main-d’œuvre (les entrevues ont été effectuées en 2018-2019), il y a fort à parier que ces dernières seront d’autant plus marginalisées dans le contexte de crise économique qui pointe à l’horizon.
Le rapport de recherche, la synthèse ainsi que des infographies sont accessibles sur le page pauvrete.qc.ca/as-recherche.