« Vers un développement humain fondé sur le respect des droits de l’homme : les enjeux du partenariat avec les plus pauvres » : événement co-organisé par le Mouvement international ATD Quart Monde, le Comité OING-Quart Monde de Genève et le comité des ONG pour le développement social à New York, Genève qui a eu cours le 28 juin 2000 entre 12h et 15h30, à l’Union Internationale des Télécommunications, deuxième étage, salle C.
Je suis une feuille à côté de l’arbre.
Après la loi, je serai dans l’arbre.
Lucien Paulhus, Drummondville
Il faut rêver logique.
Yvette Muise, Québec
« 218. En vue de donner effet aux engagements pris à Copenhague, […] il est recommandé d’élaborer des programmes nationaux de lutte contre la pauvreté qui, de l’avis du Rapporteur spécial, devraient revêtir un caractère normatif sous la forme d’une loi-cadre prévoyant des mécanismes d’application. […]
219. Il importe que ces programmes nationaux soient assortis de méthodes d’exécution conçues de telle sorte que les politiques de lutte contre la pauvreté atteignent effectivement ceux qui sont généralement laissés pour compte, du fait de leur exclusion sociale, de leur marginalisation ou de la misère dans laquelle ils vivent. L’une des directives adoptées à Copenhague stipule à cet égard que les pauvres doivent être associés à l’élaboration, l’exécution, au suivi et à l’évaluation des programmes qui les concernent. Par ailleurs, il serait souhaitable que les gouvernements mettent à profit les connaissances et l’expérience des organisations non gouvernementales menant depuis longtemps des activités dans les zones touchées par la misère. […] »
Extrait de La réalisation des droits économiques, sociaux et culturels. Rapport final sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, présenté par M. Leandro Despouy. Commission des droits de l’homme, Organisation des Nations Unies, 28 juin 1996 (E/CN.4/Sub.2/1996/13)
Nous ne connaissions même pas l’existence du rapport Despouy quand nous avons pris la décision en 1998, plusieurs organisations ensemble, de faire avancer l’idée qu’on se donne au Québec une loi cadre sur l’élimination de la pauvreté et qui plus est, une loi qui serait élaborée à la base, en particulier avec les personnes qui vivent la pauvreté. Trente mois plus tard, une Proposition de loi en bonne et due forme est désormais sur la table. Des milliers de personnes ont participé au processus. Les élu-e-s de l’Assemblée nationale du Québec en ont été saisis. Il reste à voir maintenant si nous saurons, pour reprendre les paroles de René Lévesque, ancien premier ministre du Québec, « sortir, parler, convaincre ». Il reste à voir dans quelle mesure nous saurons demeurer un réseau bien vivant tout le temps qu’il faudra pour y arriver. Ceci dit, la preuve est désormais faite qu’une population peut s’organiser et organiser son savoir, son expérience et son intuition des solutions au problème de la pauvreté jusqu’à s’exprimer dans le langage d’une loi, un véhicule habituellement réservé à des experts dans l’appareil.
Comment avons-nous procédé?
Il faut évoquer en premier lieu l’émergence au Québec dans les milieux associatifs (groupes communautaires, féministes, religieux, coopératifs) et syndicaux d’une volonté d’agir collectivement pour contrer la pauvreté à travers une politique globale cohérente qui serait encadrée par une loi. En 1995, la Marche des femmes contre la pauvreté en a donné un premier signal. En 1996, devant une politique budgétaire anti-déficitaire désastreuse pour les plus pauvres associée à des Sommets socio-économiques où la lutte à la pauvreté n’était même pas à l’ordre du jour (alors qu’on était en pleine Année internationale de l’élimination de la pauvreté), les mouvements sociaux ont réclamé une clause d’appauvrissement zéro pour le cinquième le plus pauvre de la population. Ils ont poursuivi en 1997 en parlant plutôt d’une stratégie sur dix ans visant à passer « de l’appauvrissement zéro à la pauvreté zéro ». Dans cet esprit et devant l’imminence à l’automne 1997 du dépôt d’une loi réformant l’aide sociale qui prenait une toute autre direction, un groupe d’éducation populaire de Québec a mis au jeu, au départ surtout comme un moyen de lutte sociale, un projet préliminaire de loi sur l’élimination de la pauvreté, ainsi nommé en raison de la Décennie du même nom. L’idée a rapidement fait son chemin et à l’hiver 1998, un Collectif multisectoriel d’organisations québécoises s’est formé pour faire avancer l’idée jusqu’à une véritable loi cadre. D’entrée de jeu, le Collectif s’est donné deux objectifs : obtenir une forte adhésion dans la population au principe d’une telle loi et faire en sorte qu’un maximum de personnes, dont des personnes en situation de pauvreté, participent à son élaboration.
Une telle loi ne pouvait faire son entrée dans la « réelle politique » que si elle démontrait des appuis substantiels. Une pétition réunit présentement plus de 180 000 signatures, ce qui en fait l’une des plus importantes de l’histoire parlementaire québécoise et le Collectif entend la déposer à l’Assemblée nationale à l’automne 2000 lorsqu’elle passera le cap des 200 000 signatures. À ces appuis individuels s’ajoute l’appui d’une multitude d’organisations de tous ordres : des cuisines collectives, des paroisses, des syndicats locaux, des chambres de commerce, mais aussi 18 villes majeures du Québec, plusieurs municipalités et municipalités régionales de comté, ainsi qu’un nombre croissant d’instances intermédiaires dans les secteurs de la santé, de l’éducation, du développement local. En avril 2000, la section québécoise de la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence a donné son appui non seulement au principe, mais également au contenu de la Proposition. Puis le 1er mai 2000, les syndicats et le Comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec ont publié de part et d’autre un texte d’appui. C’est sans doute cette solide progression des appuis qui a convaincu les membres de l’Assemblée nationale de recevoir dans les semaines suivantes les représentants du Collectif pour une première étape d’information.
Quant à elle, cette Proposition a pris forme en deux étapes. Tout d’abord, en 1998-1999, le Collectif a commencé par solliciter les contributions de tous et toutes sur ce que devrait contenir une telle loi. Pour ce faire, il a mis au point et distribué largement une trousse d’animation qui a permis à des groupes relais de tenir des centaines de rencontres qui ont pris de multiples formes, de la réunion de cuisine à l’assemblée plus formelle. La pédagogie a été soignée de manière à offrir plusieurs façons de contribuer. Des formations de multiplicateurs et de multiplicatrices ont permis de développer un réseau étendu et autonome. Le Collectif s’est aussi assuré de la participation de personnes en situation de pauvreté, notamment par l’embauche d’une animatrice dont c’était précisément la fonction. À la fin juin 1999, plus de 5 000 suggestions sur ce que devrait contenir la loi et près de 20 000 commentaires au texte initial avaient été recueillis.
Toute cette parole a été compilée soigneusement à l’été. Puis à l’automne 1999, une première version de la proposition de loi a été rédigée sur cette base, le travail de l’équipe de rédaction étant soumis à mesure à l’œil critique d’un juriste expert en rédaction de lois. Le 9 décembre 1999, le Collectif a retourné cette version à son réseau, lui demandant de la valider au cours des mois suivants dans le cadre de Sessions parlementaires populaires qui ont impliqué à nouveau des milliers de personnes, pendant que de leur côté le comité de contenu et l’équipe de rédaction poursuivaient le travail de mise au point juridique. Le 20 avril 2000, le Collectif et son réseau ont adopté lors d’une Session de clôture une version finale ajustée de la Proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté (texte disponible sur le site WEB du Collectif), à partir de laquelle se fera maintenant le travail politique.
La Proposition de loi du Collectif
La loi proposée est à la fois une loi cadre et une loi programme : elle engage le gouvernement du Québec dans un programme d’élimination de la pauvreté en quatre étapes visant à mettre en place en dix ans les cadres permanents d’un Québec sans pauvreté. Elle institue le Conseil pour l’élimination de la pauvreté, lequel compte parmi ses membres des personnes en situation de pauvreté, pour veiller et concourir à l’application du programme. Toute l’action gouvernementale doit être en cohérence avec les principes et objectifs visés. Les personnes qui vivent la pauvreté, y compris les plus exclues, doivent être consultées tout au long du processus. L’approche est multidimensionnelle et vise des résultats à la fois sur le plan de la réalisation effective de l’ensemble des droits des personnes, la pauvreté ne devant plus être un obstacle à cet exercice, sur le plan de l’amélioration de la situation économique du cinquième le plus pauvre de la population et sur le plan de la réalisation d’une plus grande égalité entre les personnes dans la société. L’ensemble du gouvernement, notamment le Premier ministre, a des responsabilités au titre de cette loi et doit en rendre compte annuellement. Des mécanismes permettent à la population de participer au suivi de la loi. En précisant les droits auxquels la pauvreté ne doit pas faire obstacle, cette loi fait également avancer l’application de la Charte québécoise des droits et libertés.
Nous avons progressivement découvert que notre approche était en cohérence avec une série de prises de conscience au plan international à l’effet que l’égalité en droits ne se réalisera pas toute seule et que, comme l’a affirmé Boutros Boutros-Gali, « la progression éthique de l’humanité arrive lorsque les idéaux moraux amènent des obligations légales spécifiques ». L’histoire de l’éducation populaire au Québec nous avait déjà appris que les personnes en situation de pauvreté doivent être au cœur des processus qui les concernent et que la société a besoin de leurs connaissances, de leur expérience, de leur expertise pour devenir meilleure. Nous avons trouvé ce constat confirmé dans l’évolution de la pensée internationale sur l’élimination de la pauvreté.
D’ailleurs, l’explication la plus simple et la plus complète de ce que nous avons entrepris, nous l’avons trouvée en cours de processus dans les deux paroles citées en exergue, qui proviennent de personnes en situation de grande pauvreté. Elles figurent désormais au Préambule de la Proposition.
Dans cette expérience où l’initiative vient d’en bas et demande « à l’Assemblée nationale de recevoir de façon non partisane le projet de loi qui lui sera déposé au terme de ce processus », les prochains mois seront un test de la volonté des membres de cette Assemblée de respecter les engagements pris en 1995 à Copenhague. Au moment d’écrire ces lignes, le premier ministre du Québec vient de s’engager à rencontrer le Collectif en août prochain. Par ailleurs, le président de l’Alliance des manufacturiers et exportateurs du Québec s’inquiète de l’initiative et répond que la solution est dans la croissance économique. Quant aux milliers de personnes qui se sont engagées dans ce processus depuis 1997, elles ont dit et continuent de dire : « Éliminer la pauvreté, c’est possible. Faisons-le et ça se fera. » Il y a donc un défi : réussir à imposer une nouvelle façon de voir et d’agir, ou disons-le autrement, un saut qualitatif, qui permettra de passer de la proposition à la législation.
Cette partie de l’histoire reste à vivre.
Vivian Labrie,
Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté
22 juin 2000
Présentation faite par Nancy Neamtam, déléguée du Collectif.