Allocution prononcée à l’occasion de la manifestation intersyndicale du 1er mai 2002 à Québec
Bonjour tout le monde!
Je m’en viens vous demander la plus grande vigilance au cours des prochaines semaines sur la question des droits, justement. Il y a présentement en matière de lutte contre la pauvreté, des droits à mettre en avant, des droits empêchés par la tolérance du système à la pauvreté et aux inégalités. La pauvreté est, ici comme ailleurs, un empêchement à la réalisation effective des droits pourtant reconnus à toutes et tous. C’est entre autres sur ce point que ça achoppe dans ce que le gouvernement répond à la loi sur l’élimination de la pauvreté proposée par le Collectif, avec une pétition de 215 000 signatures à l’appui.
Le gouvernement a tenté de passer à côté de cet enjeu dans des orientations qui évitent de mentionner le travail citoyen accompli sur la question, mais partout au Québec l’automne dernier, des gens et des organisations ont dit : «Vous devez partir du travail du Collectif.» Le gouvernement voudrait bien maintenant se réclamer du travail du Collectif, mais l’idée de fonder son action sur les droits, un point fondamental pour nous, ne lui sort pas de la bouche. Or d’ici quelques semaines tout au plus, la ministre va sortir une stratégie, une politique de lutte contre la pauvreté. Est-ce qu’il y aura ou pas une loi attachée à ça? Nous ne savons pas.
Mais ce que nous savons, c’est que nous ne voulons pas n’importe quelle stratégie et n’importe quelle loi et que nous allons avoir besoin de votre support pour imposer une action fondée sur les droits. Alors ça se pourrait qu’on fasse appel à vous très bientôt, à travers vos différentes instances, pour donner une impulsion dans ce sens-là.
Ce que nous savons aussi, c’est que les personnes en situation de pauvreté vivent en ce moment d’intenses situations de discrimination qui pourraient être éliminées par une action appropriée. D’où l’importance de la vigilance citoyenne.
On mène depuis quelques semaines au Collectif une campagne intitulée Crises de fin de mois qui a amené des personnes en situation de pauvreté à nous raconter ce qu’elles vivent à la fin du mois. On a reçu entre autres le texte suivant.
«Mon réfrigérateur est vide, mon garde-manger est vide, mon porte-feuille est vide, etc. Je vis de la misère. J’habite un 4 pièces et demi et j’ai 2 enfants. La plus grande a une chambre et le bébé l’autre. Moi, je dors dans le salon. Une fois, il me restait 10,00$ pour faire 11 jours. J’ai dû acheter des médicaments qui dépassaient ce coût. Trouvez l’erreur.»
Nancy, Centre d’information communautaire de St-Hyacinthe
L’erreur, est quelque part dans le fait qu’une personne condamnée au civil pour fraude verra saisir son revenu, sauf la partie qui couvre ses besoins essentiels, alors qu’une personne à l’aide sociale reçoit une prestation qui ne couvre pas ses besoins essentiels et qui, malgré ça, peut être coupée pour toutes sortes de raisons.
Elle est dans le fait qu’une contribuable n’a pas à déduire de ses impôts la pension alimentaire qu’elle reçoit pour ses enfants, mais que si elle est à l’aide sociale, la pension alimentaire sera déduite de sa prestation et qu’elle ne servira jamais à améliorer la vie de ses enfants.
Elle est dans le fait que si vous avez une contrainte sévère à l’emploi et environ 734$ par mois de prestations d’aide sociale, vous n’aurez pas à payer pour les médicaments, mais que si vous êtes jugéE apte au travail et que vous recevez plutôt autour de 500$, donc moins, là vous devrez payer une franchise et une co-assurance.
Elle est dans le fait que si vous êtes victime d’un acte criminel vous aurez peut-être droit à une indemnisation, appelée IVAC, de la CSST, pour vous aider à vous en sortir, mais que si vous êtes à l’aide sociale, cette indemnisation sera coupée de votre chèque d’aide sociale.
Elle est dans le fait qu’on vous dise que la solution à la pauvreté est dans l’emploi, mais qu’on ne s’assure pas que l’emploi vous sorte de la pauvreté.
Elle est dans le fait qu’on enseigne l’entraide à nos enfants au primaire et la compétition au secondaire.
Elle est dans le fait qu’on s’est habitués à ce que les droits reconnus à toutes et tous ne soient pas effectifs pour toutes et tous.
Dans une rencontre qu’on a eue récemment avec des personnes en situation de pauvreté, on a parlé de droits et voici ce qu’a dit France:
«Moi, je trouve que nos droits existent. […] C’est le gouvernement qui fait que nos droits existent pas.»
Le gouvernement n’est pas le seul responsable de la non réalisation des droits de la personne, et il faut interroger le système économique là-dessus, mais dans toutes les situations décrites précédemment, France a raison : on est face à des pratiques publiques discriminatoires. Des pratiques publiques qu’on peut changer par une volonté collective suffisante.
C’est le sens de notre travail. Si on fait le total des citoyens et citoyennes membres des organisations nationales et régionales membres du Collectif, on forme ensemble un formidable réseau de plusieurs centaines de milliers de personnes. On est une force suffisante pour changer le cours des choses. À condition de savoir ce qu’on veut et d’agir.
Il faut réparer les erreurs dont parlait Nancy. Non seulement faut-il une loi fondée sur les droits, mais il faut dès maintenant un barème plancher, la gratuité des médicaments à l’aide sociale, de meilleures allocations familiales, une réforme des normes du travail, une hausse du salaire minimum, des mises en chantier de logements sociaux et l’application dès le 1er juillet 2002 de l’abolition annoncée, mais pour janvier 2003, de la coupure pour partage de logement.
Il y a deux ans, en l’an 2000, le 1er mai a été l’occasion d’un manifeste en faveur d’une société sans pauvreté. Deux ans plus tard, les exemples ci-dessus confirment l’importance de mettre les droits devant, comme un fondement à une telle société.
Pour le faire, il va falloir vouloir « jeter les bases non seulement d’un Québec, mais d’un monde sans pauvreté, plus solidaire, plus égalitaire. » Il va falloir « le faire AVEC les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion. » Et ça veut dire qu’il va falloir « se gouverner et se développer autrement. » C’est la vision qu’on met de l’avant dans le cadre du Forum citoyen pour un Québec et un monde sans pauvreté qu’on organise avec plusieurs réseaux à Québec les 23, 24 et 25 mai prochains.
C’est une vision qu’on est de plus en plus de monde à partager. On ne peut pas réaliser ça d’un seul coup, mais on peut certainement s’organiser pour en réaliser les bouts qui sont à notre portée. On a des acquis. Célébrons-les, ainsi que ceux et celles à qui nous les devons. La suite suppose qu’on agisse sur ce qui bloque et qu’on trouve le moyen de le débloquer. Souhaitons-nous en, ainsi qu’à toutes les femmes et les hommes de cette planète qui s’y butent, le courage, la ténacité et la créativité.
Vivian Labrie