Bonjour tout le monde,
La raison doit être importante pour être autant à nous être déplacéEs de tous les coins du Québec pour passer trois jours citoyens ensemble.
Comme on va avoir toute la journée pour se dire tout ça, je vais commencer par une personne qui ne sera pas là, mais qui a aussi quelque chose à dire. Plusieurs d’entre vous arrivez avec les messages de gens autour de vous qui ont des aspirations pour le Québec et pour le monde.
Je voudrais pour ma part vous transmettre un message d’un citoyen de Drummondville. Ça s’est passé il y a deux semaines. Il y avait une quarantaine de personnes en situation de pauvreté qui s’étaient mobilisées pour une rencontre préparatoire au Forum. Et il y a un participant qui est venu me dire d’un air très officiel : « Comment on fait pour faire parvenir un message au Forum citoyen? Je ne pourrai pas être là et j’aurais quelque chose à dire. » Je lui ai demandé : « C’est quoi votre message ? » Il m’a répondu, et on l’a écrit à mesure : « Les gens qui doivent au gouvernement, autrement dit, qui se font saisir 112$ par mois, qu’ils puissent payer leur dette en faisant des travaux communautaires. Ceux qui veulent. Parce que c’est pas tout le monde qui veut. Y a des centaines, voire des milliers de personnes au Québec qui sont pris avec ce problème. » Alors voilà, je dépose devant vous ce message de Camille Généreux, de Drummondville. Je pense que ce message met la table. Monsieur Généreux est actif dans son milieu et il y contribue. Il se voit comme un travailleur de rue non rémunéré. Il cherche des solutions. Il a des idées à proposer. Il fait attention même dans la façon de formuler ses idées à ne pas forcer personne. Et notre société, non seulement ne reconnaît pas ses efforts, mais elle l’oblige en raison des règles actuelles du système d’aide sociale à vivre avec un revenu de misère, qui ne couvre pas ses besoins essentiels et qu’on coupe par-dessus le marché.
Nous allons porter votre message avec les nôtres sur la pelouse de l’Assemblée nationale demain, Monsieur Généreux, et nous allons dire aussi qu’il n’y a pas de décence en bas de la couverture des besoins essentiels de toutes et tous et que l’insuffisance de votre prestation d’aide sociale, avant même qu’elle soit coupée, c’est en soi une honte. On ne peut plus tolérer ça. Ce n’est pas le monde dans lequel on veut vivre.
C’est parce qu’on en a assez de toutes ces injustices qu’on s’est impliquéEs, bien du monde ici, les unEs en situation de pauvreté, les autres non, dans toutes sortes d’actions pour que ça change. On y travaille à tous les niveaux et dans toutes les régions. On connaît bien les mesures urgentes qu’il faut dès maintenant appliquer. Et on sait aussi qu’il va falloir un changement radical de cap et qu’il va falloir s’en donner les moyens. Y a plein de gens ici qui ont pris le temps d’imaginer une loi qui encadrerait et programmerait l’idée qu’on jette les bases permanentes d’un Québec sans pauvreté. Depuis l’idée de cette loi en 1997, des milliers de personnes y ont contribué et se sont mobilisées pour la faire avancer. D’autres pendant ce temps-là, ou les mêmes, n’ont pas arrêté de s’activer pour développer des emplois autrement, pour développer l’économie autrement, pour améliorer les conditions de vie dans leur région, pour faire avancer les droits et la reconnaissance de l’implication citoyenne et communautaire, pour créer des espaces pour apprendre ensemble à s’en sortir ensemble, pour dire non à la mondialisation sauvage des marchés et dire oui à la mondialisation des solidarités, pour dire, comme ça s’est dit lors de la Marche mondiale des femmes, comme ça s’est dit à Québec en résistance au Sommet des Amériques, comme ça s’est dit à Porto Alegre : un autre monde est possible!
Le rendez-vous de ce forum n’est ni un point de départ, ni un point d’arrivée. C’est un moment de convergence et de mise en commun où on s’en vient ensemble franchir une étape sur trois points.
-*Premier point : avancer dans notre détermination à ce que les personnes en situation de pauvreté soient au cœur des processus qui les concernent. On ne pourra arriver à un Québec et un monde sans pauvreté qu’AVEC les personnes en situation de pauvreté.
Sur ce point je passe la parole à Rachel Lacasse, une citoyenne impliquée activement dans plusieurs organisations, dont le FCPASQ et le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, qui va vous dire pourquoi c’est fondamental.
-*Deuxième point : affirmer à plusieurs réseaux qui travaillent à plusieurs niveaux que nous refusons de laisser opposer les solutions politiques aux solutions économiques et sociales à la pauvreté. Un Québec sans pauvreté ne se pourra que si on se gouverne et qu’on se développe autrement. Les deux en même temps, à tous les niveaux.
Sur ce point, je passe la parole à Nancy Neamtan, du Chantier de l’économie sociale, qui va se faire la porte-parole des réseaux organisateurs de ce Forum.
-*Troisième point : attacher les enjeux sur la pauvreté au Québec et dans le monde parce qu’ils se rejoignent. Nous ne pouvons mener nos luttes en vase clos ou de façon détachée. Le respects des droits des humains, ça doit être universel et nous vivons une époque qui impose de penser largement et localement. Un Québec sans pauvreté ne fait pas de sens sans un monde sans pauvreté.
Sur ce point, j’ai le plaisir aussi de vous annoncer que nous avons reçu un message de Chico Whitaker, du Forum social mondial de Porto Alegre, que nous lirons à la fin de cette journée. Et je passe la parole à Jeannine Mukanirwa, de la République démocratique du Congo, une militante impliquée dans la Marche mondiale des femmes, une de nos deux invitéEs internationaux à ce Forum et que nous entendrons aussi plus tard aujourd’hui.:
Je vais prendre quelques instants aussi pour replacer ce forum dans son contexte politique. Cette année au Collectif, il est devenu important pour la suite de notre travail de montrer que la loi qu’on mettait de l’avant ne règlerait pas toute seule le problème de la pauvreté, qu’elle était un moyen important pour se gouverner autrement au Québec, et que c’était un moyen complémentaire et non opposé à d’autres moyens qui sont mis de l’avant pour agir à d’autres niveaux. On entendait le gouvernement dire : le problème est à Ottawa et la solution est dans les régions. Ou bien la solution à la pauvreté est dans l’emploi, comme s’il n’y avait pas de travailleurs et des travailleuses pauvres, ou la solution est dans la croissance économique comme si, alors que la société s’enrichit, les écarts n’étaient pas en train d’augmenter. On s’est dit qu’il fallait déjouer ça, et on s’est retrouvé à plusieurs réseaux, je les nomme, soit, à l’invitation du Collectif, Cap Monde, le Chantier de l’économie sociale, la Coalition des organismes communautaires de développement de la main d’œuvre, l’Institut canadien d’éducation des adultes, la Table nationale des corporations de développement communautaire, à se dire qu’il faut refuser de faire le jeu du statu quo et de se laisser opposer. On a refusé de laisser s’opposer se gouverner et se développer. La solution au problème de la pauvreté passe par les deux : il faut à la fois se gouverner et se développer autrement. On a décidé de tenir ce forum ensemble pour le montrer.
Ce forum arrive à un moment où, suite à des pressions venues de toutes parts, le gouvernement du Québec est à la veille de faire connaître une stratégie de lutte contre la pauvreté qu’il annonce depuis plusieurs mois. Au delà des beaux discours et des obsessions de lutte contre la pauvreté, le tableau de la volonté politique et de l’écoute de la volonté citoyenne n’est pas très reluisant sur la question de la lutte contre la pauvreté. Les pouvoirs politiques ont nettement à faire leurs preuves sur ce point. Et pas seulement au Québec. Au Canada aussi. Et les pouvoir économiques aussi. Et les institutions internationales. Et la population, ici et ailleurs, qui a constamment des choix à faire face aux différents modèles qu’on lui propose.
Le modèle qu’on propose, nous, à ce Forum, il vient de nos acquis et il se résume dans trois phrases :
«Jeter les bases d’un Québec sans pauvreté, plus solidaire, plus égalitaire !
Le faire avec les personnes en situation de pauvreté.
Et pour cela, se gouverner et se développer autrement!»
Aujourd’hui, nous allons faire un bout entre nous pour intégrer les trois points de cette vision sur lesquels on veut avancer à partir de ce qu’on fait déjà. Nous allons ensuite nous tourner vers l’action. Nous avons une foule de raisons. Il y aura des élections dans la prochaine année au Québec. Mais pour aller vers où et vers quoi? Il devient urgent de mettre la table que nous voulons. À chaque jour, les décisions économiques et politiques mondiales façonnent notre quotidien dans un monde qui oscille. À nous de dire pas d’assiettes vides!, pour reprendre une phrase qui nous est arrivée sur le télécopieur cette semaine. Il va falloir interpeller solidement et agir dans les prochains mois, si on veut mettre cette vision en action.
Alors pour bien marquer le changement de cap auquel nous sommes déterminéEs, nous allons prolonger ce Forum par une interpellation et commencer des actions d’affichage qui pourront se répéter de façon autonome au cours des prochains mois. Avec les bannières que vous voyez tout le tour de la salle, demain nous allons prendre en photo la vision que nous avons pour notre société et pour le monde, avec nous debout pour la tenir et y tenir. Nous avons le projet d’en faire ensuite une affiche qu’on pourra distribuer largement. Ensuite, un peu dans l’esprit de Porto Alegre, nous allons émettre une déclaration plurielle, à trois volets : 1. elle contiendra un appel citoyen des réseaux organisateurs du forum, auquel vous serez invitéEs ce midi à adhérer, 2. une déclaration de chacun des réseaux, qui sera présentée en fin d’après-midi, et 3., sous la forme d’une parole-action, vos mots à vous, par lesquels vous pourrez interpeller directement les pouvoirs politiques et économiques et qui feront partie intégrante de la Déclaration du Forum. Et demain après la photo, on va aller avec tout ça mettre la table, sur la pelouse de l’Assemblée nationale du Québec.
Ensuite, dans les prochaines semaines, dans les prochains mois, on va continuer. On a peut-être pas du pouvoir sur tout, mais on a toujours bien du pouvoir sur nous. Ensemble on peut avoir un impact. On en a déjà un!
Bon Forum! On a essayé dans ce Forum de mettre en application ce à quoi on croit : le comité de contenu a été formé de personnes en situation de pauvreté et d’intervenantEs des différents réseaux. Il faut remarquer aussi l’incroyable travail de préparation qu’on doit à un petit groupe déterminé de citoyenNEs de Québec qui ont fait de multiples corvées pour vous préparer les lieux, les trousses et le matériel. Maintenant, il faut en profiter et se fréquenter au maximum au cours des prochaines heures. Bons échanges! La parole est à vous.
Vivian Labrie, pour le Collectif et le comité organisateur du Forum