Objectif emploi: Un acharnement générateur de catastrophes !
En juillet dernier, en plein coeur de l’été (donc au moment où les possibilités de mobilisation sont réduites au minimum pour les groupes sociaux), le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale publiait son projet de règlement modifiant le Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles. Le but de l’opération est de permettre la mise en application du nouveau Programme objectif emploi issu du projet de loi 70.
(texte de Lorraine Desjardins, agente de recherche et de communication de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec, tiré du Bulletin de liaison d’octobre 2017)
Rappelons que ce programme prévoit l’obligation, pour les personnes qui feront une première demande d’aide sociale, de participer à des mesures d’insertion sous peine de pénalités financières. En plus de participer, depuis plus d’un an, à l’ensemble des actions menées par la Coalition objectif dignité pour dénoncer le projet de loi 70, la FAFMRQ a également voulu réagir sur ses propres bases au projet de règlement. Ce court article se veut un aperçu de l’Avis que la Fédération a fait parvenir au ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale.
En plus de dénoncer l’obligation inhérente au Programme objectif emploi et les pénalités financières qui y sont associées, nous avons rappelé que les responsables de familles monoparentales sont parmi les premières à participer aux mesures d’insertion en emploi, à condition qu’elles correspondent à leurs besoins et à leurs aspirations. Or, les programmes de formation offerts par Emploi-Québec sont souvent peu adaptés aux réalités des responsables de familles monoparentales. Les règles qui encadrent ces formations sont souvent trop rigides et tiennent peu compte des obligations familiales des parents seuls.
Selon le projet de règlement, les responsables de famille monoparentale qui ont un enfant de moins de 5 ans (donc éligibles à une allocation pour contraintes temporaires) pourraient choisir de ne pas participer au Programme objectif emploi. Cependant, la Fédération a rappelé que les ménages comptant deux adultes avec enfants sont en fait des familles monoparentales qui ont connu un ou plusieurs épisodes de recompositions familiales. Or, depuis 2013, ces ménages ne sont plus éligibles à l’allocation pour contraintes temporaires même s’ils comptent un ou plusieurs enfants de moins de 5 ans. Cela signifie que si un primo-demandeur vivant au sein d’un tel ménage n’est pas en mesure de satisfaire aux exigences du Programme objectif emploi, c’est l’ensemble du ménage qui vivra avec les conséquences des sanctions financières qui lui seront imposées.
L’une des raisons qui pourraient amener une personne à l’aide sociale est le fait de vivre une rupture conjugale. Or, les transitions familiales sont toujours un moment difficile dans le parcours des individus, apportant leur lot de défis matériels et émotionnels, à plus forte raison lorsqu’il y a présence d’enfants. En plus des changements de résidence et d’une importante réorganisation du quotidien, certaines ruptures seront accompagnées de conflits plus ou moins intenses qui auront des effets sur l’ensemble des membres de la famille. Il n’est pas rare également, pour certaines personnes, de vivre une période, plus ou moins longue, de vulnérabilité émotionnelle ou de détresse psychologique suite à une séparation.
Toutefois, même si les difficultés en lien avec une rupture sont bien réelles, elles ne feront pas nécessairement l’objet d’un rapport médical. Or, si on en croit le règlement associé au Programme objectif emploi, une femme qui vient de se séparer et qui fait une première demande d’aide sociale, en plus de devoir faire face aux multiples défis liés à sa nouvelle situation, serait tenue de participer si elle a des enfants en âge de fréquenter l’école. Ne serait-il pas plus humain de laisser du temps à ces familles avant de leur imposer la charge additionnelle d’un plan d’intégration en emploi ?
Le caractère obligatoire du Programme objectif emploi et les pénalités financières qui y sont associées sont non seulement inacceptables, elles ont aussi de fortes chances d’empirer les conditions de vie de personnes qui sont déjà en situation de très grande vulnérabilité ! Le niveau actuel des prestations d’aide sociale ne parvient même pas à couvrir les besoins les plus élémentaires, ce qui constitue déjà un manquement grave aux droits reconnus, notamment dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Vouloir couper dans des montants qui sont déjà nettement insuffisants et prétendre que c’est pour aider les personnes à sortir de la pauvreté ne fait aucun sens !
Comme le disait une mère monoparentale dans une lettre ouverte publiée en mai 2017 : « si à l’époque de ma première demande à l’aide sociale, j’avais été soumise aux exigences de votre Programme objectif emploi, si j’avais été forcée d’occuper un emploi dans l’état d’épuisement physique et moral où j’étais, si on m’avait privée d’une partie importante de ma maigre prestation, j’aurais assurément abouti à l’hôpital psychiatrique ! Comment ferez-vous, Monsieur le Ministre, pour vous assurer que les personnes soumises aux règles de votre beau programme ne sombrent pas tout droit vers la catastrophe ? »
Lorraine Desjardins, agente de recherche et de communication de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec