Pour son travail exceptionnel, le Collectif a reçu le Prix Jean-Pierre Bélanger le 5 novembre 2001
Bonsoir!
Je n’ai connu Jean-Pierre Bélanger que brièvement, au moment des travaux du comité externe de réforme de l’aide sociale, en 1995. Personne n’aurait pu prévoir à ce moment la situation de ce soir.
Six ans plus tard, Jean-Pierre n’est plus là, mais vous créez ce prix à sa mémoire pour souligner des contributions significatives au bien commun et à ce qui fait évoluer cette société vers la meilleure santé de toutes et tous.
Plusieurs des idées de Jean-Pierre ont pris des voies imprévues, mais fécondes qui se concrétisent dans la mouvance terrain de l’économie solidaire.
Quant à la lutte à la pauvreté, ce n’est pas de l’intérieur, à travers une réforme de l’aide sociale où on n’a pas « écouté », mais de l’extérieur à travers un mouvement citoyen qui s’est formé en réaction à une trop grande surdité de la « machine », que se sont fait les pas significatifs que vous voulez souligner aujourd’hui par la remise de ce prix au Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté. Ce faisant vous donnez raison à Yvette Bélanger, de Rouyn, d’agir avec d’autres pour son bien, quand elle dit : « Y a rien de pire que quelqu’un qui veut ton bien à ta place. »
Je veux vous dire que nous nous sentons très honoréEs par votre décision de nous remettre ce prix. Il vient donner un peu plus de réalité à la phrase de Lucien Paulhus : « Je suis une feuille à côté de l’arbre. Après la loi, je serai dans l’arbre. » Il vient nous dire que nous ne perdons pas notre temps depuis quatre ans à nous placer entre l’arbre et l’écorce de cet arbre, à requérir de notre pleine initiative citoyenne de l’État qu’il dépasse les atavismes de l’ordre établi pour se comporter comme l’instrument des solidarités qu’il devrait être.
Il y a quatre ans nous avons pris la décision de prendre l’État au sérieux, d’assumer notre responsabilité citoyenne devant les graves problèmes de pauvreté que nous constations et devant l’aggravation chronique de ces problèmes à même les politiques publiques censées y faire face. Nous avons décidé de rêver logique la société sans pauvreté à laquelle nous aspirons. Et nous en sommes venuEs à vouloir faire avancer l’idée d’une loi sur l’élimination de la pauvreté qui engagerait la société québécoise et ses institutions politiques à jeter en dix ans les bases d’un Québec sans pauvreté. C’était fou, mais non insensé. C’est ce que vous venez nous dire aujourd’hui.
Nous avons mobilisé et à travers cette mobilisation nous avons consulté, élaboré une proposition de loi en bonne et due forme sur la base de cette consultation, validé cette proposition, réuni des milliers d’appuis organisationnels autour de cette proposition. Vous venez nous dire aujourd’hui que ça valait la peine. Nous savons comme vous que la pauvreté est un déterminant majeur de la mauvaise santé. Nous avons pu constater d’ailleurs tout au long du processus l’importance des appuis dans le milieu de la santé et des services sociaux et nous avons vécu de belles alliances avec des intervenantEs du réseau. L’évaluation récente du programme « Naître égaux grandir en santé » rappelle que l’intervention psycho-sociale ne suffit pas pour prévenir la pauvreté et qu’il faut agir à un niveau plus structurel, notamment au niveau de l’amélioration du revenu et des conditions de vie des personnes et des familles en situation de pauvreté. De nombreuses recherches sont venues confirmer le rôle non seulement de la pauvreté, mais aussi des inégalités et des écarts entre riches et pauvres sur la mauvaise santé. Et nous savons de plus en plus qu’au-delà des différences d’habitudes de vie, les différences de 8 à 9 ans d’espérance de vie et les différences majeures d’état de santé constatées entre le cinquième le plus riche et le cinquième le plus pauvre de la population doivent beaucoup aux différences de stress et de contrôle sur sa vie reliées aux positions relatives des personnes dans l’échelle sociale.
Tout cela nous conduit, comme dans la fable des Animaux malades de la peste, une fable intéressante à relire d’ailleurs dans un contexte de santé publique, à nous rappeler que si tous n’en meurent pas, tous sont ont une part dans le mal social qu’est la pauvreté et qu’il ne sert à rien de se dédouaner en criant haro sur le baudet. La pauvreté dans cette société riche, la pauvreté plus grande des femmes, ce sont des maux sociaux que nous avons laissé se développer par défaut de créer des environnements libres d’oppression, d’exploitation et de sexisme.
Vous venez nous dire aujourd’hui que nous n’avons pas « crié dans le désert » et ce faisant vous jetez un baume sur une zone sensible, facilement écorchée, cette partie de notre moi social qui croit souvent se heurter à l’indifférence. Vous nous rappelez que l’action citoyenne pour rendre effectifs des droits reconnus peut être efficace et attractive. En nous reconnaissant, vous faites preuve de courage politique et vous nous donnez le courage de continuer à exister.
Vous nous donnez ce courage à un moment éprouvant, alors que, avec la publication dans « Ne laisser personne de côté! » d’orientations de lutte contre la pauvreté qui font le silence complet sur ce que propose le Collectif, et plus 215 000 personnes et 1600 organisations avec lui, le gouvernement fait semblant de ne nous accorder aucune importance, alors que c’est probablement le contraire. En lançant un processus de validation d’orientations de lutte à la pauvreté complètement à côté du travail que nous avons accompli, le gouvernement joue présentement une dure partie qui est tout à fait dans la ligne de surdité qui nous a motivéEs à agir. C’est très blessant et difficile à vivre de voir un interlocuteur ignorer l’effort d’autant de citoyenNEs, pauvres et non pauvres, pour contribuer à la solution d’un problème qui les mobilise au point de se constituer en réseau organisé pour y voir. Comme on dit en psychologie clinique, « il y a un cheval sur la table » et on fait semblant de ne pas le voir.
Vous faites ce geste à un moment où en région, des personnes et des groupes de ce réseau, remettent sur des tables qui n’ont pas été dressées pour la recevoir une proposition qui a gagné de nouvelles adhésions à travers toute cette adversité. Et à un moment où le récent budget comporte un double message : celui de reconnaître qu’il faut agir au bas de l’échelle et celui de ne pas budgétiser la lutte à la pauvreté et les engagements déjà pris.
Avance-t-on, piétine-t-on, recule-t-on?
L’histoire est probablement toujours ambiguë et il ne fait pas toujours bon s’y mirer soi-même.
Vous nous dites ce soir, avec une certaine audace, en pleines Journées annuelles de la santé publique : « Tenez bon. Nous voyons ce que vous faites. C’est du bon et nous le soulignons. »
Et nous le disant, vous faites un pas et nous avançons. Et vous devenez partie prenante des prochains pas.
Il nous reste à espérer que nos interlocuteurs gouvernementaux vous entendent, s’étonnent, et ouvrent un peu plus leurs yeux et leurs oreilles. Et que sinon, vous soyez avec nous pour contribuer à ce que cela se produise de plus en plus et assez pour qu’il devienne possible d’envisager que nous passions de la proposition à sa réalisation.
Il y a quelques années, nous répétions souvent cette phrase venue du Sud affirmant que « la solidarité, c’est la tendresse des peuples ». Ce soir, nous pouvons voir que la solidarité, c’est aussi la tendresse dans la société.
Au nom de tous les membres du Collectif et de son réseau, et parce que jeter les bases d’un Québec sans pauvreté, c’est possible, si nous le voulons, merci!
Vivian Labrie, pour le Collectif