Monsieur Blais, un peu moins d’arguments non fondés, SVP!
Dans tout le débat entourant le projet de loi 70, qui cherche à mettre en place le programme Objectif emploi pour forcer les premiers demandeurs d’aide sociale à participer à un plan d’intégration en emploi sous la menace de sanctions financières, plusieurs arguments non fondés sont mis de l’avant. Dans les derniers mois, afin de répondre aux critiques du Collectif pour un Québec sans pauvreté et des organisations qui se mobilisent contre l’approche coercitive, le ministre François Blais a publié trois textes sur ce nouveau programme. Attardons-nous à l’un de ses arguments.
Les limites du volontariat
Depuis son retour en fonction comme ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, monsieur Blais insiste sur les limites du volontariat. Pourtant, après des mois de débats sur le projet de loi 70, le Collectif est toujours en attente d’une démonstration convaincante de cette affirmation. Le ministre se contente de nous présenter des exemples, comme celui d’une discussion avec une directrice régionale d’Emploi-Québec qui aurait convoqué 60 prestataires de l’aide sociale afin de leur présenter les mesures d’aide à l’emploi disponibles. Les résultats auraient été plus que décevants : la moitié seulement se seraient informés de la démarche, cinq auraient participé à la rencontre et seulement deux se seraient inscrits à l’une des mesures.
La conclusion qu’il en tire? Le volontariat ne fonctionne pas! Pas un mot sur la région où cette expérience a été tentée, l’âge des personnes, la manière dont elles ont été contactées, leur niveau d’études, etc. Qui plus est, il ne précise même pas si ce sont des personnes qui ont déposé une demande d’aide sociale récemment. Ce sont pourtant ces personnes qui sont justement visées par le projet de loi 70! Il faut croire le ministre sur parole.
Pour être sérieux, il faudrait une étude indépendante qui trace le portrait d’une cohorte de personnes assistées sociales qui déposent une demande d’aide sociale pour la première fois, le tout afin d’évaluer avec rigueur les raisons pour lesquelles elles participent ou non aux mesures d’aide à l’emploi. Au minimum, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale pourrait produire des statistiques complètes, disons sur trois ans, sur le parcours de ces quelque 17 000 primo-demandeurs qui arrivent à l’aide sociale chaque année.
Combien de personnes sont sorties de l’aide sociale en un an? Est-ce que sont les plus jeunes, les plus diplômées, les plus près des grands centres urbains? Combien ont participé aux mesures d’aide à l’emploi? Voilà des questions auxquelles il faudrait répondre avant de dire que l’approche volontaire ne fonctionne pas. Et si le ministre a des réponses, qu’il les dévoile publiquement.
Arrêtons de faire fi des problèmes actuels
Dans son dernier texte (Huffington Post, 6 septembre 2016), il est intéressant de constater que le ministre Blais admet que la majorité des primo-demandeurs sont des « jeunes qui n’ont souvent pas eu grand chance dans leur vie » et que la « plupart n’ont pas terminé leur secondaire et plusieurs souffrent de problèmes de toxicomanie non résolus ou encore de problèmes de santé mentale non diagnostiqués ». Un état de fait qui, selon le ministre, exigerait une première rencontre obligatoire pour détecter ces problèmes et orienter ces personnes vers les bonnes ressources et les bons programmes. Les sanctions financières en cas de refus de participer à une telle rencontre seraient, ironiquement, mises en place pour le bien de ces personnes!
C’est choquant d’entendre ça quand on sait que, depuis plusieurs années, les demandeurs d’aide sociale ne sont pas rencontrés systématiquement. C’est un peu comme si on venait justifier l’approche obligatoire et les sanctions financières sur la base de l’incapacité des centres locaux d’emploi à rencontrer tous les demandeurs.
Le ministre nous répond qu’en visant uniquement les primo-demandeurs, on sera capable d’y parvenir. Ce n’est pas impossible, mais la question qui se pose alors est celle-ci : combien de demandeurs d’aide sociale « non primo-demandeurs » seront abandonnés dans les prochaines années? Ce n’est pas d’obligations ni de sanctions que les personnes assistées sociales ont besoin. Elles ont besoin d’aide. Et cette aide, ça passe par une plus grande offre de services et la possibilité de rencontrer un être humain pour les aider justement. Et pas juste les primo-demandeurs.
Monsieur le ministre, lorsque les prestations d’aide sociale seront suffisantes pour couvrir les besoins de base des personnes, que les ressources pour l’aide à l’emploi seront suffisantes, que les écoles auront les moyens de faire une vraie lutte au décrochage scolaire, que l’alphabétisation sera une vraie priorité… nous pourrons discuter de sanctions financières. D’ici là, travaillons sur les vrais problèmes et non sur de fausses solutions basées sur des arguments non fondés.
Serge Petitclerc, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté