Aide sociale et préjugés
Avec son projet de loi 70, le gouvernement libéral prétend «briser le cercle de la pauvreté» en forçant les demandeurs d’aide sociale à chercher de l’emploi et à accepter n’importe quelle job.
Ayant une longue expérience à la fois du marché de l’emploi et du système d’aide sociale, nous sommes choquées de voir que le gouvernement agit comme si les personnes assistées sociales n’en faisaient pas déjà assez pour trouver du travail et sortir de la pauvreté.
Le fait que le gouvernement refuse de régler les vrais problèmes du système d’aide sociale nous fait sérieusement douter de ses intentions. Est-ce que le projet de loi 70 va réellement aider les personnes assistées sociales à trouver un emploi? Ou est-ce que cela est juste un autre prétexte pour refuser de verser des prestations?
Loin d’encourager les prestataires à trouver du travail, le système d’aide sociale est lui-même une course à obstacles. Par exemple, les agents font fréquemment des erreurs de calcul concernant les déductions à prendre en compte quand un prestataire a un revenu de travail. Quand on vit avec un budget si restreint, la moindre baisse peut avoir des conséquences désastreuses, parce qu’on n’a jamais de coussin financier, alors travailler peut vouloir dire perdre de l’argent. Ce n’est pas de la paranoïa, c’est un risque réel quand on a déjà de la misère à payer son loyer.
Les personnes assistées sociales doivent souvent solliciter leurs employeurs pour pouvoir répondre aux demandes incessantes de documents de la part de l’aide sociale. Ceci signifie admettre à son employeur qu’on touche aussi de l’aide sociale, pas facile quand on connait les préjugés que subissent les personnes qui dépendent du soutien gouvernemental pour leur survie. De plus, de nombreux employeurs vont préférer mettre fin à un contrat ou ne pas engager ou ré-engager une personne plutôt que d’avoir à répondre constamment aux demandes de l’aide sociale.
Pour sortir du cycle des emplois précaires et sans avenir qui n’offrent aucune perspective de revenu stable, il faut acquérir de nouvelles compétences ou mettre à jour sa formation. Pourtant, les cours sont souvent inaccessibles pour les personnes assistées sociales. Par exemple, plusieurs CÉGEPs offrent des programmes de recertification pour des infirmières auxiliaires qui n’ont pas travaillé récemment. Une prestataire d’aide sociale ne peut pas étudier à temps plein, elle ne peut donc pas suivre ce programme, et ce type de programmes non diplômant n’est pas couvert par les prêts et bourses. Le système d’aide sociale l’empêche carrément de retourner au travail et la force à rester dans la pauvreté!
Il existe certaines possibilités pour étudier tout en recevant de l’aide sociale, mais c’est limité. Si l’agent nous refuse, on ne peut pas contester sa décision, même si on pense que cela n’est pas raisonnable. Par exemple, on se fait refuser parce qu’il n’y a plus de budget au Centre local d’emploi, ou parce que l’agent nous dit qu’on est trop vieux, même s’il n’y a pas de critère d’âge dans les programmes de formation. On se fait aussi souvent dire par les employeurs que la formation que l’on vient de finir est inadéquate.
Pas étonnant que si peu de programmes d’Emploi Québec conduisent à un emploi. Si nous n’avons pas d’emploi, ce n’est pas à cause de notre échec personnel ou parce qu’on n’est pas capables de faire une entrevue d’embauche. Difficile de trouver une job sur le marché actuel de l’emploi, même au salaire minimum: il faut être bilingue pour obtenir une job d’emballeur à l’épicerie, pour servir du café à 6h du matin, il faut montrer qu’on est le meilleur candidat parmi au moins 6 personnes. Les personnes qu’on connaît qui ont trouvé une job c’est par des amis ou des contacts. Mais, avec les prestations actuelles d’aide sociale, les personnes s’appauvrissent aussi de leur réseau, et perdent contact avec leurs amis et anciens collègues. Cet isolement les maintient encore plus longtemps dans la pauvreté. Comment trouver une job quand on n’a même pas l’argent pour le bus pour aller à l’entrevue?
Nous sommes tannés d’être traités en fraudeurs alors qu’on essaye juste de survivre. Le gouvernement oublie que nous sommes tous des êtres humains avec une dignité. Le gouvernement oublie aussi qu’il a signé des pactes internationaux et adopté des chartes qui garantissent le droit au logement, à l’alimentation, et à l’éducation.
Il faut en finir avec les jugements à la va-vite, où on juge de la valeur d’une personne selon sa seule capacité d’obtenir un emploi, sans considérer les multiples contributions de la personne à la société, par exemple en étant proche aidant, ou en étant bénévole. En basant des politiques et des lois sur des préjugés et des mythes, le gouvernement enracine encore plus la pauvreté dans notre société.
Cathy Inouye et Rosario Tapia
Membres du comité anti-pauvreté de Projet Genèse