À vous de vous remettre au travail, monsieur Hamad !
Ariane, 19 ans, quittera bientôt l’Auberge du cœur où elle est hébergée, après un détour dans un centre jeunesse. Elle souhaite s’installer en appartement et se prépare à retourner aux études, condition obligatoire pour se trouver un emploi. À 58 ans, Jean-Claude a perdu son emploi. Son chômage est épuisé… tout comme lui. Les opportunités professionnelles se font rares à Shawinigan. Manon vient de quitter un conjoint violent dont elle dépendait économiquement, n’ayant pas repris le chemin de l’emploi depuis la naissance de ses enfants. Sa vie est compliquée et elle a besoin de temps pour reprendre le dessus. Amina, pour sa part, cherche du travail depuis son arrivée au Canada. Un an de refus et de misère. Ses diplômes et son expérience n’ont pas eu l’effet escompté, c’est comme si elle devait repartir de zéro. Pierre, en situation d’itinérance depuis plusieurs années, fait ses premiers pas avec une ressource. Il veut sortir de la rue. Qu’ont en commun ces cinq personnes? Elles s’apprêtent toutes à faire une première demande d’aide sociale.
Avec le dépôt le 10 novembre dernier du projet de loi 70 par le ministre responsable de l’aide sociale, M. Sam Hamad, les difficultés de ces personnes pourront désormais se traduire en économies potentielles pour l’État, et les personnes elles-mêmes constituer une force de travail bon marché pour certains types d’entreprises. La belle affaire!…
S’opposer à l’inacceptable
Nous représentons des regroupements d’organismes communautaires travaillant avec des personnes en situation de pauvreté: familles monoparentales, personnes vivant avec un handicap, jeunes à risque ou en situation d’itinérance, personnes aux prises avec un problème de santé mentale, issues de l’immigration, etc. Nous accueillons avec colère ce projet de loi. Nous réclamons depuis des années des programmes et des mesures supplémentaires permettant la réinsertion en emploi ou en formation… Et pour toute réponse, que nous offre le gouvernement du Québec? Des coupes et Objectif emploi!
Concrètement, le programme Objectif emploi obligera les premiers demandeurs à s’inscrire dans des mesures d’employabilité en échange d’une bonification minimale de leurs prestations. Si la personne n’est pas en mesure ou refuse de participer pour un motif qui n’est ni médical ni reconnu par le Ministère, l’allocation lui sera retirée et sa prestation pourra être coupée. La prestation de base, doit-on le répéter, est de seulement 616 $ par mois.
Le nouveau programme du ministre Hamad n’apporte aucune mesure supplémentaire. Il ne fait que réallouer des ressources déjà existantes, les canaliser vers les personnes qui font une première demande d’aide sociale. Autrement dit, ces ressources, les personnes y auraient eu accès de toute façon, alors pourquoi ajouter ici une obligation? La question se pose d’autant plus que les données empiriques montrent que les mesures d’employabilité sont davantage couronnées de succès lorsqu’elles sont réalisées volontairement et à un moment jugé propice par la personne, sur la base de ses capacités et de ses besoins, dans la perspective d’un engagement durable.
Obliger les participants à accepter n’importe quel emploi considéré «convenable», comme le propose le ministre, cela est tout simplement contre-productif. Est-ce que le ministre croit réellement qu’accepter un emploi, sur appel ou à temps partiel, au salaire minimum, à plus d’une heure de route de chez soi, permettra à une personne de «retrouver sa dignité» par le travail? Est-ce que d’obliger une personne à subir un emploi qui ne lui convient pas, la forcer à renoncer à ses compétences, ses aptitudes et ses aspirations la rendra plus digne? Bien sûr que non!
Quels effets auront le projet de loi 70 et son programme Objectif emploi sur les premiers demandeurs identifiés plus haut? Ariane peut faire une croix sur son retour aux études. Jean-Claude devra vendre sa maison et déménager dans un village à 100 km de chez lui pour un travail que son corps ne lui permettra pas longtemps d’occuper. Manon devra réintégrer le travail alors qu’elle bataille toujours pour son équilibre mental. Amina devra accepter un travail dans un entrepôt plutôt que de poursuivre sa carrière d’ingénieure. Pierre aura encore plus de difficulté à stabiliser sa situation, et à sortir de la rue.
Un peu de cohérence, SVP!
Maintenir l’accès à l’aide sociale inconditionnel, rehausser la prestation de base afin de permettre aux personnes de sortir d’une dynamique de simple survie, et offrir aux personnes assistées sociales qui en ont la capacité une possibilité réelle de cheminement vers un retour à la vie active: voilà ce que devrait faire le gouvernement si la réalisation des droits humains l’intéresse.
Les personnes assistées sociales ne sont pas paresseuses, comme semble le croire le ministre Hamad, mais plutôt des victimes d’un marché du travail compétitif, qui crée structurellement de l’exclusion. La pauvreté attaque durement la santé physique et mentale des gens, ce qui ne favorise pas une participation active à la société. Monsieur Hamad, retournez faire vos devoirs. Retirez le projet de loi 70 et proposez aux personnes assistées sociales une autre voie, plus féconde, pour les aider à réaliser pleinement leur potentiel.
Yann Tremblay-Marcotte, coordonnateur du Front commun des personnes assistées sociales
Serge Petitclerc, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté